mardi 20 juillet 2010

Avignon 2010 (IV)



Ce qui suit fait partie d'une série de plusieurs billets sur le festival d'Avignon de juillet 2010.

Si – à en croire la sociologue de l’art, Nathalie Heinich – la vocation de l’artiste a pris la relève de ce qu’était la naissance pour l’aristocrate (voir le billet sur la culture en danger), la foi garde de beaux jours devant elle chez ceux qui ont largué la religion pour la culture – je pense à Télérama qui se distribuait à la sortie des églises et faisait la pluie et le beau temps avec sa cote morale des films au cours de sa première jeunesse (il vient de fêter ses 60 ans) et dont seule sa rédactrice en chef reconnaît aujourd’hui qu’elle va à la messe le dimanche. Référence quasi obligée pour ses actuels lecteurs, Télérama (diffusé à 650 000 ex.) est, avec Le Monde (320 000), Libération (120 000) et les Inrockuptibles (36 000), un des rares organes où on trouve un suivi sérieux du festival officiel dans les présentoirs de la salle de presse. Noblesse, Clergé… reste le Tiers-État mais – malgré les apparences – ce ne sera pas pour cette fois-ci puisque nous allons rester sur la Rive-IN.

S’il est de bon ton de valoriser le hautement symbolique, le IN c’est la Cour d’honneur. Or ses 2000 places ont, pour l’essentiel cette année, été occupées pour deux évènements : Papperlapapp de Marthaler pendant la 1ère moitié (du 7 au 17) et Richard II de Shakespeare pendant la seconde (du 20 au 27). Présent vers le début, j’ai pu assister à la rencontre entre le public et l’équipe artistique de Papperlapapp. La pièce est jouée exclusivement à ce festival d’Avignon, et plus du tout après – le titre veut dire Blablabla ou Et puis quoi encore ? Voici un extrait de mes notes, complété par trois brefs éclairages latéraux.

Rencontre avec le public
La cour de l’École d’Art était abondamment remplie, les derniers arrivants ayant du mal à trouver une place où éviter un coup de soleil. Non loin de moi, une dame confiait en attendant à sa voisine que si, à la représentation de la veille, elle s’était rendu compte qu’il suffisait à beaucoup de gens de voir des acteurs s’agiter sur scène, ce n’était pas son cas, et qu’elle était partie rapidement – même si, pour elle, avoir perdu 31 euros (le prix de son billet) ce n’était pas rien. La première question venant du public n’a d’ailleurs fait que confirmer : Quel effet cela vous a-t-il fait de voir tous ces gens partir ? De l’autre côté du filet, ça cherche à amortir la balle : Deux mille places, c’est un très grand public… Ça fait constamment du bruit… Outre les quelques-uns venus exprès pour protester, il y a des gens qui renoncent : ce n’est pas leur théâtre. C’est vrai que cela pose aux acteurs des problèmes de concentration… mais nous avons fait notre travail et été capables de nous abstraire de ce problème – cela fait partie du spectacle. Une Avignonnaise vient à la rescousse : C’est devenu une habitude à ce festival : il y a des gens malpolis… Ceux qui restent, ce sont les meilleurs.

Désarrois
Mais une de ses concitoyennes adopte un autre angle de tir : J’ai été prise entre colère et désarroi : la papauté d’Avignon a été tournée en dérision, avec des lieux communs éculés et des gags. Qu’y avait-il à voir ? Réponse : Ce qui nous a intéressé en cet endroit, c’est que les papes étaient surtout des politiciens – y régnaient la folie et le mensonge. Ce que vous considérez comme des gags peuvent aussi symboliser (tel est le détour théâtral) des tragédies personnelles.

Autre thème : Des petits bouts de choses magnifiques mais pas de fil directeur. Réponse en miroir : En France, les gens sont souvent énervés quand il n’y a pas de fil conducteur. Ça angoisse les gens, mais moi ça m’étonne qu’on ne puisse pas laisser quelque chose d’ouvert qui permette que cela se passe dans la tête du spectateur, qu’il ait à choisir lui-même. Je sens moi-même des choses sans savoir quoi, le spectacle est une création ensemble, avec les acteurs, sans que cela vienne uniquement du metteur en scène… et, de son côté, le public sent aussi des choses. Je connais des spectacles où, moi et d'autres, nous n’avons rien compris… et pourtant, à plusieurs reprises, des années après, on en parle et en reparle sans savoir exactement de quoi. Remarque proche dans le public : En France, nous sommes très "sur le texte". Ce qui m’intéresse, ici, c’est cette élaboration en train de se faire.

En douceur

A la question liée au fait que les comédiens sont de langues différentes : C’est vrai que ce n’est pas toujours facile… Mais ce n’est pas la langue qui est ce qu’il y a de plus difficile. Il faut du temps. Cela se fait de manière très gentille. On donne du respect au temps, avec la possibilité de s’ennuyer – ce qui n’est pas négatif et permet d’entrer en soi.

Trois éléments en contrepoint

Dans un des précédents billets – celui des entretiens avec Weber, Podalydès et Lassalle – ceux-ci répondaient aussi à un Questionnaire à la Proust. Je rapproche l’évocation faite ici plus haut du maniement en douceur de la dimension temps, de la devise préférée choisie par Jacques Lassalle, venue de Nicolas de Staël, peintre français d’origine russe : Rien de plus violent que la douceur.

Dans le dossier des programmes du festival, Papperlapapp est ainsi présenté : le Palais des papes et sa Cour d’honneur témoignent d’un conflit politico-religieux d’il y a 700 ans entre le roi de France et la Papauté, avec ce que cela suppose d’utilisation par les différents pouvoirs, de la vérité et du mensonge. Ce spectacle est alors une invitation au voyage entre un ailleurs et autrefois et un ici et aujourd’hui, entre rêve et réalité.

Revenons à Télérama : interrogé par Fabienne Pascaud, sa directrice de la rédaction, Christoph Marthaler laisse échapper cette phrase – joyeusement reprise après coup dans le blog de la République des livres de Pierre Assouline : Je ne vais jamais au théâtre, je n’aime pas ça, je n’y comprends d’habitude rien. Je préfère lire le texte de la pièce à la maison, tranquille, sans que les interprétations des acteurs viennent le brouiller.

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