dimanche 4 juillet 2010

A mi-2010 - Cinéma


Il ne m’a pas été facile d’opérer un choix parmi les films analysés par Annie Coppermann, qui avait été responsable de la chronique Arts & Culture des Échos et que ce journal accueille désormais pour un blog hebdomadaire de ses Coups de cœur et coups de griffe, consacré au cinéma. Pour le 1er semestre 2010, j’en ai retenu à peu près 1 sur 10 et effectué à chaque fois un condensé – dans un ordre des sorties en salles qui remonte le temps. Ce qui apparaît en conclusion de chaque film, avec une police et une couleur différente, est un extrait de l’avis que nous en livre Annie Coppermann. Pour remonter à la source, utiliser l’adresse de site suivante :
(
http://blogs.lesechos.fr/rubrique.php?id_rubrique=78).

PuzzleCe premier film de la réalisatrice argentine Natalia Smirnoff a pour héroïne une mère de famille toute entière dévouée à son foyer. A son cinquantième anniversaire, elle reçoit un grand puzzle : offrande inattendue, mais qui s’avère libératrice. Elle se passionne pour l’assemblage des minuscules petites pièces, progresse à une vitesse inespérée, en oublie presque les tâches ménagères et accepte d’être la partenaire d’un habitué des tournois – homme séduisant et raffiné. Elle prend de l’assurance, s’épanouit, s’aperçoit qu’elle a jusqu’ici vécu dans une sorte de servitude. Ira-t-elle jusqu’au bout de son émancipation ?

Beau portrait de femme, tout en nuances, magnifiquement incarnée par Maria Onetto et joli film sur le machisme ordinaire, la famille, et la difficulté pour une femme de trouver le chemin de la liberté sans mettre à mal… le puzzle que compose son entourage, quand elle sait en être le ciment.
BébésTourné par Thomas Balmès, et dont Alain Chabat a eu l’idée toute simple : aller filmer les dix-huit premiers mois de quatre nouveau-nés dans quatre familles aimantes de la planète. Comme pour un documentaire animalier mais sans commentaires. Depuis leur naissance (pas toujours dans des conditions d’hygiène optimale) jusqu’à leurs premiers pas et à l’apprentissage de la découverte du monde d’à côté, parfois derrière le dos des mamans alors affolées… On suit donc le petit Namibien, qui se vautre dans la terre ocre où est assise sa mère, et lèche goulument les cailloux qui lui servent de hochet ; le petit Mongol, relié à son lit par une ficelle, et qui prend son bain sans se laisser intimider par la curiosité un peu pressante du yack tout proche ; la petite Japonaise qui se chamaille avec son chat et se fâche quand ses jouets ne lui obéissent pas. Et la petite Californienne, qui ne prise qu’à moitié les séances de communion hippie à la gloire de la Terre où l’emmènent ses parents bobos, et amorce sa première fugue…

En fait, rien que d’archi connu. Et pourtant, on ne s’ennuie pas une seconde, on rit, on s’étonne, on applaudit… Et l’on s’émerveille de voir à quel point, au-delà de différences de conditions évidentes, tous ces bouts d’chou se ressemblent dans leur façon de grandir et de commencer à tester leur début d’autonomie...
Copie conforme
Pour la première fois, Kiarostami tourne en dehors d’Iran, avec William Shimmel et Juliette Binoche. Il est Britannique et séduisant, invité en Italie à parler de son dernier essai, sur l’art et sa reproduction. Elle, Française qui tient une galerie de statues anciennes, se glisse dans la salle de conférences. Partie de l’art et ses copies, leur discussion se prolonge au fil d’une après-midi passée dans un ravissant village et tourne… à la scène de ménage. Réelle, ou en trompe-l’œil ? Celle d’un vieux couple ? Après quinze ans de mariage ? Elle, ardente, n’est que reproches, lui toujours aussi froid, que leçon de sagesse. Tout, ici, est jeu de miroirs, jeu d’acteurs et surtout, d’actrice : mutine, autoritaire, souriante, mélancolique, agressive, furieuse, séductrice, brisée, sensuelle, abandonnée, Juliette Binoche est éblouissante. La fin reste ouverte. Et laisse le spectateur à la fois très ému, et perplexe.

Moins abstrait que parfois, toujours un peu énigmatique, d’une subtilité que ne fige pas la beauté des images, ce film tout en jeux de miroirs interroge, et séduit. Juliette Binoche, elle, nous tourne la tête !
Les Arrivants
C’est à Paris qu’on les découvre. Débarqués de leur bout du monde natal, perdus, éreintés, ruinés, ils espèrent trouver, chez nous, des conditions de vie plus acceptables que chez eux d’où, souvent, ils ont fui pour sauver leur peau. Claudine Bories et Patrice Chagnard, coréalisateurs de ce bouleversant documentaire, les ont cueillis au tout début de leur séjour, puis régulièrement retrouvés aux nombreuses étapes de leur chemin de croix administratif.

Il y a le couple éthiopien dont la femme est enceinte – son mari ne supporte pas l’humiliation de ces harassantes démarches et se met souvent en colère. Puis une superbe Erythréenne de vingt ans, très enceinte, très digne, dont on devine qu’elle a connu le pire, et préfère le taire. Un couple, ensuite, venu de Mongolie extérieure, se disant pourchassé pour raisons politiques mais pas l’air très crédibles parce qu’ils ne racontent jamais tout à fait la même chose. Il y a aussi ceux qui ont fui les persécutions au Sri Lanka. En face, il y a les accueillants, ceux qui écoutent, débrouillent, aident à remplir les papiers, qui savent d’emblée que les élus seront peu nombreux, et peuvent aussi craquer.

Instants ordinaires de destins extraordinaires…. Sans effets de manches. Concrètement. Les statistiques deviennent des hommes, des femmes, des enfants, en bout de route et d’énergie, mais pas encore d’espoir. A la fin, un carton nous raconte ce qu’ils sont devenus. On y repensera souvent. Bouleversant.
The Ghost-Writer (l’écrivain fantôme)Un formidable thriller politique. Hanté par les thèmes obsessionnels de Polanski : l’enfermement, le mal, l’absurde, aussi. Les manipulations du pouvoir. Et la mort… Désargenté et disponible, un journaliste rejoint, dans sa résidence secondaire américaine, un ex premier ministre britannique dont il doit pimenter les mémoires. Le nègre qui a rédigé le premier jet vient de mourir. Un accident, sans doute. Le nouveau nègre s’y sent mal à l’aise. Il trouve ensuite, dans les tiroirs de son prédécesseur quelques papiers mystérieux qui pourraient bien le mettre sur la piste de révélations scandaleuses… Le film s’inspire du roman d’un ex journaliste de l’Observer et du Sunday Times, qui ne nie pas avoir pensé à Tony Blair… Un film nerveux, tendu, haletant, hitchcockien. Une distribution magnifique.

Machiavélique, caustique, un rien désespéré, et formidablement mené, ce film fait écho à la situation actuelle du réalisateur mais était pourtant quasiment terminé quand Polanski a été arrêté à Zurich. Sombre, palpitant, avec des sous-entendus politiques ravageurs. Il a reçu l’Ours d’argent du meilleur réalisateur à Berlin.

La Tisseuse
L’actrice chinoise Yu Nan est remarquable de retenue, dans le film de Wang Quan An. Elle incarne une ouvrière, employée d’une vétuste filature dans la banlieue de la capitale de la province du Shaanxi. Mariée à un homme qui a perdu son travail, mère d’un petit garçon qu’elle tente d’élever du mieux possible, elle tombe malade et comprend qu’elle est atteinte de leucémie : elle n’a plus que quelques mois à vivre. Elle décide d’aller rejoindre à Pékin son grand amour de jeunesse – également marié et père de famille. Ils vont passer une journée au bord de la mer. Puis se séparent … Quel mélo, serez-vous peut-être tentés de dire ! Erreur. D’une finesse déchirante, ce film bouleversant ne tombe jamais ni dans le misérabilisme, ni dans la facilité du cliché. La première partie, d’une précision presque sèche, nous montre l’univers kafkaïen de l’usine… et certains petits arrangements avec la morale. La partie des retrouvailles à Pékin est proprement bouleversante. Elle réunit, en toute chasteté, deux êtres conscients d’avoir gâché leur vie et de ne plus pouvoir rien y faire. Les grandes douleurs sont muettes, dit le proverbe. Ce film magnifique l’illustre magnifiquement…

Primé à Montréal, un petit bijou chinois, concentré d’émotion pudique, silencieuse, magnifiée par une actrice bouleversante. Très beau.
Fantastic Mr. FoxC’est un vrai petit bijou. L’humour décalé du réalisateur, Wes Anderson, complète celui du conte drolatique qu’il avait adoré quand il était petit. Mr Fox est un renard. Elégant, bon époux et bon père, il a longtemps vécu de rapines dans les poulaillers mais a décidé de se ranger, pour complaire à sa femme et assurer à son fils une bonne éducation. Il acquiert un confortable terrier avec vue imprenable… sur les trois fermiers voisins. Ses vieux instincts se réveillent et il conçoit des expéditions aussi sophistiquées qu’hilarantes – déclenchant la colère des trois horribles éleveurs de volailles visés, abominables exploiteurs capitalistes… Ce n’est pas le moindre paradoxe de ce film à l’ancienne que d’unir, dans un même plaisir, les petits et les grands. Exaltation joyeuse d’une liberté un rien anar opposée à la pesanteur égoïste de gros propriétaires repus. Regard lucide mais tendre sur les difficultés de la vie en famille et de la relation père-fils. Le tout sur une musique qui fait la part belle aux Rolling Stones, aux Beach Boys, à Cole Porter et à … Mozart. Un sans-faute !

Pour lutter contre la morosité, rien de tel que les aventures de cet élégant gentleman-cambrioleur à fourrure, père de famille peu enclin à renier ses passions de jeunesse. Une fable à l’amoralité malicieuse qui devrait séduire tous les publics, de 7 à …87 ans et plus.

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