mercredi 21 juillet 2010

Avignon 2010 (V)


Ce qui suit fait partie d'une série de plusieurs billets sur le festival d'Avignon de juillet 2010.

Outre qu’il dispose d’un hôtel, le Cloître Saint-Louis et le lieu d’accueil du IN (participants, presse…), il y a, dans sa cour intérieure, d’immenses arbres, superbes, pour vous abriter. Mais c’est un lieu doublement dangereux. Pour le porte-monnaie d’abord, dans la mesure où le petit noir qu’on vous y sert dans des gobelets en carton est 65% plus cher qu’à n’importe laquelle des confortables terrasses qui s’alignent place de l’Horloge – véritable tasse et verre d’eau compris. Physiquement aussi car les bancs disposés en demi-cercle autour de l’estrade où se passent les rencontres sont, en dépit de leur jolie couleur orange, animés de pulsions meurtrières.

Nous étions en avance, ce samedi 10, pour le débat qui y était programmé. Après nous être fait rackettés à la buvette, nous allons nous installer à proximité de l’estrade. C’est bientôt l’heure : Sélénia qui était au milieu du banc le quitte pour avancer d’un ou deux rangs… et, mon poids qui pèse à l’extrémité fait promptement basculer le dispositif et me projette brutalement sur le sol. Plus d’une semaine après, je le ressens encore. Des habitués du lieu nous assurent que cela arrive assez souvent, et ce depuis des années… mais je n’ai pas alors eu le courage d’aller consulter les statistiques auprès des services d’urgence voisins.

Internet, mémoire du spectacle vivant ?
Guidé par ses soucis de spectateur, le premier intervenant (Jacques Brunerie – site lesarchivesduspectacle.net) avait commencé en organisant des archives personnelles sur Internet, à base de noms de personnes et de spectacles, et à quel endroit. Il l’a ensuite rendu plus interactif, afin de s’orienter plus facilement dans cette masse de données – et l’a ouvert à d’autres utilisateurs. Il estime qu’Internet est ce qu’il y a de plus économique et de plus simple tant qu’il s’agit d’usages propres aux spectateurs – car il est plus focalisé que Google. Mais cela peut néanmoins intéresser des professionnels pour reconstituer un CV ou rassembler des archives sur un théâtre, par exemple.

Le suivant (Gildas Le Roux) représente la Compagnie des Indes – c’est de la production d’environ 3 programmes par mois pour la TV, à partir de documents sur le théâtre. Depuis maintenant 13 ans, sa société est en charge de la mémoire filmée du festival IN. On avait en effet constaté qu’il ne restait pas de mémoire du festival de 1997… d’où la décision de s’en occuper par la suite. On distingue des archivages riches (avec plusieurs caméras) pour ce qui ne sera plus joué après le festival, et d’autres qui le sont moins. On fait aussi des extraits de 3 minutes (validés par le Festival et par la compagnie) à vocation promotionnelle, ainsi que des éditions en DVD qui sont déposés à la Maison Jean Vilar et à la BNF.

Jean Knauf est un chercheur sur la mémoire du théâtre, telle que l’on peut (plus ou moins) la reconstituer depuis des décennies… car on constate de longues périodes de vide à ce sujet. Depuis 50 ans on a des enregistrements audio : il faut avouer qu’ils paraissent maintenant relativement vieillots, alors qu’avec la vidéo c’est autre chose. Il n’en reste pas moins que subsiste une certaine contradiction du théâtre vivant, entre l’archive morte et l’émotion, le côté troublant du spectacle en direct.

Jacques Lassalle (Président de la Maison Jean Vilar à Avignon – dont la fonction de mémoire est primordiale) reconnaît que sa génération ne voyait pas grand intérêt à fixer la mémoire en matière de théâtre. De plus, il a passé 18 ans à Vitry/Seine et 9 ans au Théâtre national de Strasbourg – or, malgré les enregistrements effectivement faits, il n’en reste plus rien : chaque directeur qui arrive vide les tiroirs et fait table rase du passé. A la Comédie-Française, il a eu le souci que tous les spectacles soient enregistrés (par des étudiants de la FEMIS, sur le thème : Qu’est-ce que c’est que filmer du théâtre ?).

Depuis 10 ans, il travaille plus encore à l’étranger qu’en France… au point de se sentir de plus en plus étranger dans son pays. Là-bas (à Varsovie notamment où il s’apprête à mettre en scène Lorenzaccio), dès le soir de la Première, il peut emporter avec lui un document de 5 minutes très bien fait (basé sur la dramaturgie). Aujourd’hui, il se sent pris d’une frénésie de retrouver des traces. En tant que consommateur de DVD, il estime que ce genre de mémoire porte plus sur ce qu’il appelle des bonus (par ex. à propos de l’auteur, sur ce que disent les metteurs en scène…) que sur les spectacles eux-mêmes. Pour le créateur de la cinémathèque – Jean Langlois – il fallait tout garder : à la postérité de voir. Laisser, en effet, le temps faire son œuvre, se méfier d’une mémoire trop sélective, à la mode, voire snob.

Avant, c’était tout pour le texte. Aujourd’hui, c’est autant l’image, sinon plus, que le texte. Mais, au théâtre, c’est le texte qui génère l’image, les belles images. Lors de la rencontre entre l’équipe artistique de Papperlapapp et le public, il a été dit qu’il y avait eu, pour des générations récentes, un déficit considérable de transmission des pères vers les fils – résultat : les fils, des pères, ils s’en f… Au mois de juillet (comme par hasard), Avignon est devenu le syndrome français de la révolution permanente.

Juliette Caron, qui s’occupe de la documentation à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, indique que les archives remontent à 1983 et qu’un site Internet – considéré comme un centre de ressources – existe depuis 1998. Alors qu’on trouve ailleurs des musées du spectacle qui remontent à plus d’un siècle, elle a constaté qu’il y avait eu peu d’archivage en France (ainsi qu’en Allemagne). Il semble que la profession s’y était opposée au prétexte que le théâtre était un art éphémère. Ce que l’on conservait était les programmes, les affiches, des photos et les articles de presse. Mais cela ne répondait pas à la question : comment garder l’émotion du spectacle ?

Ce qui, de plus, change avec Internet, c’est que le public souhaite disposer d’informations sur pratiquement tout. C’est déjà de la mémoire brute… mais ensuite ? A l’aide de bases de données accessibles par Internet, on débouche plus ou moins de nouvelles sur de nouveaux usages du théâtre relevant du virtuel et, vers d’autres publics qui ne vont pas assidûment au théâtre, on prolonge la vie des spectacles. Mais, spectacle vivant pour spectacle vivant, se pose-t-on la question de la même manière pour un concert de rock ? Mais attention aussi : en matière de mémoire, Internet n’est pas la panacée : des milliers de pages en disparaissent sans crier gare.

François Berreur a fondé en 1998 un site : theatrecontemporain.net, pour la promotion des auteurs et de l’écriture vers le multimédia, en particulier le nouveau théâtre et le festival d’Avignon. L’internaute s’empare de cela en fonction de son désir – on dénombre chaque mois autour de 100 000 entrées uniques sur le théâtre contemporain. Par ailleurs, il n’est pas rare que les professionnels n’aillent plus voir directement les spectacles : il leur suffit de visionner 5 à 10 minutes sur le site.

Un participant, d’origine allemande, dans le public, indique que depuis 8 ans il fait des pages sur Internet et qu’il est bien utile d’avoir des liens de sites pour donner aux Allemands qui veulent approfondir ce qu’il présente, une idée de ce qui se passe en matière de théâtre, en France par exemple, grâce aux données de presse de l’Odéon.

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