lundi 19 juillet 2010

Avignon 2010 (II)

Ce qui suit fait partie d'une série de plusieurs billets sur le festival d'Avignon de juillet 2010.

Dans les rues d’Avignon, il vous est notamment distribué deux journaux gratuits. De l’un j’ai extrait des passages de trois entretiens sur le IN / OFF. L’autre s’est adressé à une vingtaine de personnalités sur le thème de la Culture en danger.

L’Effeuille du OFF
C’est le n°1 d’un journal gratuit de 12 pages. Un journal ? Si les articles sont signés, il n’y a, en revanche, pas d’ours pour donner les coordonnées de la publication et le nom de son responsable. On m’en a tendu un exemplaire le tout premier jour. Et lorsque j’ai croisé, près d’une semaine plus tard un jeune distributeur qui n’y pouvait évidemment mais, il a sans façon admis qu’il y avait eu des réclamations à ce sujet. Outre un hommage – auquel j’ai été sensible – à André Degaine, et des commentaires à propos d’une demi-douzaine de spectacles, le plus intéressant se trouve dans trois pages consacrées à autant d’entretiens : avec Jacques Weber, Denis Podalydès et Jacques Lassalle.

Jacques Weber (1949) – acteur, réalisateur et scénariste. Pendant une vingtaine d’années au total, il a dirigé le Centre national dramatique de Lyon puis celui de Nice-Côte d’Azur.
Il rappelle d’entrée de jeu que – ni IN ni OFF (dérision des mots) – il n’a participé au festival d’Avignon. Il s’agit ici d’un billet d’humeur. Pour lui, on raconte sur ce festival une histoire paradoxale et ambiguë. Aux origines, Jean Vilar tombe amoureux du lieu. L’essai est transformé : le succès enfante un lieu touristique. L’intimité propre au théâtre cède à l’évènement. Point d’aboutissement : une feria qui mélange tout (longue liste dont : Aristophane, le coca zéro, Shakespeare et la crème solaire…), une sorte de Salon de l’auto où les professionnels viennent faire leur marché, avec des bureaucrates en toile de fond. Le IN, pourtant, préserve sa liberté de programmation, tandis que l’anarchie intrépide du OFF rencontre une sorte de reconnaissance officielle. Mais le bruit de la culture de l’évènement, de ce qu’il faut avoir vu couvre les voix du silence, celles du dedans des choses.

Denis Podalydès (1963) – acteur, metteur en scène, scénariste, sociétaire de la Comédie-Française depuis une dizaine d’années. Cette édition du festival est pour lui un cumul de premières fois : jouer du Shakespeare (Richard II), jouer au festival d’Avignon… et dans la Cour d’honneur.
Constat : le Festival est maintenant fait de cette partition entre le IN et le OFF – ce dernier se caractérisant par l’absence de programmation et de subventions, d’équipe qui réfléchit d’en haut, détermine une ligne, coproduit les spectacles. Pas de comparaison possible donc – ni économique ni artistique. La légitimité du OFF est une légitimité de fait ; le public est venu et en a fait un succès, puis des programmateurs pour choisir des spectacles produits par des compagnies qui se font ainsi connaître. Question : la baisse probable de ressources vers le théâtre subventionné va-t-il provoquer un nouvel afflux vers le OFF ?

Jacques Lassalle (1936) – acteur, metteur en scène, écrivain. A été à la tête du Théâtre national de Strasbourg puis de la Comédie-Française. A réalisé plusieurs mises en scène au festival d’Avignon.
La légitimité du OFF vient de ce qu’il donne leurs chances à des répertoires, des pratiques, des compagnies, des artistes que les circuits institutionnalisés ne gratifient pas et laissent en marge. Et de ce qu’il lui arrive de compenser ce que le IN peut avoir d’arrogant dans ses choix et de provocant dans sa conception de la modernité en art. Cela étant, il semble que le trafic des locations de salles ne soit pas beaucoup moins scandaleux que les réseaux de marchands de sommeil.

La Terrasse
Ce journal gratuit a pignon sur rue dans le monde du théâtre. Il annonce une diffusion moyenne (OJD) proche de 75 000 exemplaires.et un tirage de 100 000 pour le présent Hors-série sur le festival d’Avignon. Tout au long de ses 128 pages (dont moitié de la surface sous forme de publicité), on trouve présenté un guide, une sélection de spectacles – presque tous ceux du IN et 20% de ceux du OFF.

La Culture en danger ?
Une vingtaine de personnes ont été sollicitées pour s’exprimer sur ce thème. Leurs interventions occupent plus de 10% de la surface réactionnelle. Ce qui suit n’est qu’un survol. Pour plus de précision, se référer à l’édition électronique sous format PDF : http://www.journal-laterrasse.fr/pdf/la_terrasse_avignon_2010.pdf

Il va de soi que cela vient de gens relativement installés et souvent politiquement marqués. Mais mes dadas me portent aussi ailleurs et c’est pourquoi j’ai cherché à retrouver les dates de naissance. Sur les 20, il y en a 4 qui ont dépassé le futur âge de la retraite à 62 ans. Le gros du bataillon est fait de quadra- et de quinquagénaires… dont plus du tiers encore de baby-boomers, vague démographique déferlante que la vie a habitués à voir les montagnes s’écrouler devant eux – quitte à pousser leurs aînés à la retraite anticipée et leurs cadets au chômage. En ce sens, la tonalité générale de ce qu’on lit dans ce dossier me paraît assez datée, voire myope, si on se donne un horizon à 10 ans.

Un brin d’air frais
La culture appartient à la nature humaine et lui donne sens. De tout temps, les princes, les grands mécènes ou les États ont soutenu les artistes… qui en retour les soutenaient. Quant à éduquer / cultiver les peuples… j’en frémis, rien que d’y penser. Certes, l’éducation rend moins ignare… mais que certains savants peuvent être incultes ! Si l’art n’a réponse à rien, du moins permet-il de modifier le point de vue : tout redevient question – les artistes déplacent / déstabilisent la culture. La frontière entre culture et divertissement est poreuse ? Oui, et c’est dans cet entre-deux que tout se passe. Il est vrai qu’il faut des moyens pour la culture mais, dans ces conditions, elle se transmet toute seule. Utopie ? (Jacques Coursil)

Survol des autres interventions
(entre parenthèses, les initiales des signataires dont la liste est donnée par la suite)
- Les collectivités territoriales financent à 70% une culture créative et diversifiée. Le projet de loi visant à les réformer re-centralise. La suppression de la taxe professionnelle en assèchera les ressources (CB).
- Culture : façon que les gens ont de faire attention à eux-mêmes, aux autres et au monde. Organisée pour capter l’attention de consommateurs, l’économie contemporaine et les industries culturelles les en détournent. Résister ? Ce serait accepter le fait accompli : reconstituer plutôt l’attention au monde. Les nouvelles techniques relationnelles accessibles à chacun devraient permettre de « doubler » le monde consumériste (BS).
- Culture en danger ? Bonne gestion n’est pas en contradiction avec culture. Cela étant, l’art ne doit pas être un bien exclusivement marchand mais il a besoin de prendre des risques pour innover. Le mécénat privé affecte l’indépendance des artistes : mieux vaut un financement public… dont celui par les collectivités territoriales (LS).
- Les dangers ? La refonte du ministère de la Culture ; le projet de réforme des collectivités territoriales : une numérisation, où les majors des loisirs et de la communication veulent imposer leur loi. Ce ne sont pas les élus et les fonctionnaires qui sortiront la solution de leur chapeau. Ce sont des praticiens qui ont marqué les changements dans le passé (Dasté, Vilar, Planchon, Vitez, Mnouchkine…). Ceux qui sont lassés des logiques productivistes et consuméristes s’associeront à une telle recherche de sens (EW).
- La question des subventions est une fausse question : la profession est en désarroi, les rapports avec la tutelle sont faussés (ni réflexion, ni discussion, favoritisme, destruction des acquis). Même le PS n’est pas opposé sur le fond aux dérives actuelles. Impliquer le public. Imaginer un contre-gouvernement de la culture (RA).
- On n’avancera pas, à réclamer tout pour le peuple et rien par le peuple. Les acteurs culturels n’arrivent à se mobiliser que les moyens… et la majorité de nos concitoyens a d’autres soucis. Seuls ceux qui fréquentent une offre culturelle non strictement marchande reconnaissent qu’il y a crise. La baisse des budgets n’est que le symptôme d’une absence de prise en considération des enjeux culturels (JML).
- Modèle spécifiquement français hérité de l’Ancien régime, la culture est affaire d’État et « service public » dû aux citoyens. Les crises ont un avantage : éviter que les politiques et les artistes en viennent à ronronner. On confond actuellement populaire et audimat. Les artistes sont perçus comme des privilégiés coupés du peuple réel. La France est en retard sur les autres démocraties occidentales quand au rôle de l’école pour l’accès à la culture (ADB).
- Depuis l’Antiquité, la dramaturgie s’est construite en articulant émotion et réflexion. Malraux a amorcé et Lang renforcé le clivage entre créateurs (soutenus par le dispositif public qui tend à se replier sur l’élite cultivée) et animateurs sociaux (liés à l’action dite culturelle, quitte à y accueillir les adeptes du hip-hop). Alors que le nazisme cherchait à séduire les foules, Brecht avait entrepris de relier intellect et sentiment (GN).
- Question budgétaire ? C’est plus profond. Le projet pour l’Homme est à l’abandon. Ce devrait être aux artistes d’inspirer l’État – alors qu’ils n’ont même plus de respect entre eux : compétition plutôt qu’émulation, colloques plutôt que débat, séduction plutôt que concours (CS).
- Les menaces : la réforme des collectivités locales ; la recentralisation ; la suppression de la taxe professionnelle ; les déprogrammations et licenciements ; le démantèlement du service public ; la surdité aux contre-propositions (FLP).
- La création s’inscrit dans la durée. Importance du brassage des âges parmi le public à l’occasion de pièces qui apportent une réflexion sur l’Histoire et où chacun peut trouver une existence autre que la seule réalité économique. C’est ainsi qu’en leur temps, celui de l’ouverture des frontières, le Théâtre des nations, le Festival de Nancy, celui d’Automne et celui d’Avignon, l’Odéon-théâtre de l’Europe… ont permis de re-questionner le monde (EDM).
- L’accès à la culture – qui devrait donner des repères nécessaires à leur émancipation – est devenu plus difficile aux étudiants (7 € par mois dans leur budget). Ouverture grâce aux technologies numériques ? C’est l’ère du soupçon (HADOPI). La culture a tendance à devenir le fait du prince (national ou local). Les politiques sont devenus encore plus absents du festival d’Avignon (ET).
- La culture est vraiment en danger… mais c’est une question de cycle historique et elle en réchappera. Les deux erreurs de nos politiques : parler de la culture comme d’un superflu (divertissement, tourisme, commerce, marché de l’art) ; considérer la politique comme une gestion de crise, plutôt qu’une action tournée vers l’avenir (OP).
- Le statut d’artisan remonte au Moyen-âge. Celui d’artiste s’en est détaché au cours des 18e et 19e s. pour en faire un être d’exception mû par une nécessité interne (leur vocation remplace la naissance des aristocrates) : il reçoit des subventions, peut transgresser les règles morales. Afflux de candidats, marginalisation, paupérisation. Plus récemment : artistes + exception + techniciens + droits + égalité = intermittents. Et pendant ce temps-là, ce sont les élites diplômées qui fréquentent majoritairement le théâtre subventionné de service public tandis que le public populaire va dans les théâtres privés (NH).
- 10 milliards € de fonds publics pour la culture = 3 (État) + 4 (communes) + 1,3 (départements) + 1 (régions). D’abord centrés sur l’enseignement artistique et l’aménagement, les collectivités territoriales ont promu des festivals et des évènements. Les inquiétudes liées à la suppression de la taxe professionnelle et à la clause de compétence semblent avoir été entendues… à suivre néanmoins (KGM).
- Les remous en cours ont mis en évidence l’inadaptation des structures de réflexion et de travail. De par leur positionnement, leur sensibilité et leur savoir-faire, les directeurs des affaires culturelles se voient promus chefs d’orchestre dans la mise en place des outils de la politique publique. On assiste aussi à un déplacement du primat des disciplines (ex. : spectacle vivant) vers l’éducation artistique et la compréhension du monde (CL).
- Alors que les politiques se désintéressent de la culture (voir les campagnes électorales), la pluralité des partenaires (État, régions…) devient une garantie de démocratie. Le théâtre a toujours reflété les interrogations de la cité mais, avec le déclin de la civilisation judéo-chrétienne, ce lien est en train de se dissoudre. Le théâtre doit s’ouvrir à un avenir différent (JD).


Les intervenants
Claude BARTOLONE (1951) – Député PS, CG-93. Bernard STIEGLER (1952) – Philosophe, R&I Pompidou. Louis SCHWEITZER (1942) – CA du Festival. Emmanuel WALLON – Professeur, sociologie politique & activités culturelles. Robert ABIRACHED (1930) – Écrivain et critique, ex-Théâtre & Spectacles à la Culture. Jean-Michel LUCAS – Ex- cabinet Jack LANG et DRAC. Antoine de BAECQUE (1962) – Historien, ouvrages sur la culture. Gérard NOIRIEL (1950) – Historien, EHESS. Christian SCHIARETTI (1955) – TNP de Villeurbanne. Emmanuel DEMARCY-MOTA (1970) – Théâtre de la Ville. Emmanuel ÉTHIS (1967) – Université d’Avignon, sociologue. Olivier PY (1965) – Théâtre national de l’Odéon. Jacques COURSIL (1938) – Trompettiste, linguiste, enseignant - fils de Martiniquais, né à Paris. Nathalie HEINICH (1955) – Sociologue de l’art. Karine GLOANEC-MAURIN (1958) – Fédération des Collectivités territoriales. Claude LECHAT – ASDAC-IDF. Joël DRAGUTIN – Théâtre 95. Farid PAYA (1949) – Compagnie du Lierre. Bernardo MONTET (1957) – Centre chorégraphique de Tours. Bernard LUBAT (1945) – Musicien de jazz.

L’illustration de ce billet se compose du logo du festival 2010 et d’une sculpture géante de Miquel Barceló exposée pendant l’été sur la place du Palais des papes.

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