vendredi 23 juillet 2010

Avignon 2010 (VII)

Ce qui suit clôt une série de plusieurs billets sur le festival d'Avignon de juillet 2010.

Mécénat
De tout temps, les princes, les grands mécènes ou les États ont soutenu les artistes… qui en retour les soutenaient. J’ai déjà cité cette phrase, picorée dans l’un des journaux gratuits distribués au cours du festival. Je me représentais l’artiste des temps jadis tournant autour de tel prince ou mécène : pour peu qu’un déclic se fasse, il se voyait passer des commandes. Pour reprendre ce qui a été exprimé lors d’un débat dans la cour Saint-Louis, au-delà des emballements et snobismes du moment, la postérité fait ensuite peu à peu le tri.

Notre époque est un peu plus compliquée. D’un côté, le mot État recouvre de fait une grande diversité de pouvoirs publics détenteurs d’une manne qui ne chemine vers ses potentiels bénéficiaires qu’à travers un impressionnant labyrinthe bureaucratique. Mais aussi, dans le monde du spectacle notamment, des pans parfois importants de l’activité se débrouillent plus ou moins directement (billetterie, publicité) avec le désormais consommateur final - c’est ce à quoi, jusqu’à un certain point et pendant un certain temps, sont parvenus le cinéma et la TV.

Derrière les logos, les planches
Revenons aux subventions publiques. Accéder à ladite manne demande du savoir-faire et se joue souvent sur le long terme. Dans mon imaginaire non-professionnel et brouillardeux, j’avais décalqué la relation au prince sur la relation du saltimbanque au fonctionnaire : une fois empochée, le spectacle sera produit… et peu importe si l’absence de public et le bavardage des médias – lui qui vaut spectacle en soi. Mais y parvenir n’est pas forcément la tasse de thé d’artistes au fond de l’âme, que leurs pulsions entraînent vers d’autres cieux. D’où la constitution d’un millefeuille de strates intermédiaires qui y prélève sa propre TVA(bsorbée).

On en a un aperçu en parcourant la séquence des noms et des logos du IN. Outre que Dexia (financement des équipements publics et mécène du club de foot de Bruges) est imprimé partout, la liste des subventionneurs, participants, concourants, souteneurs, aidants, partenaires ou remerciés qui ouvrent le Guide du spectateur, ne contient pas moins de 60 organismes… et on a le bonheur d’apprendre qu’à compter de cette année, les personnes individuelles peuvent également devenir mécènes du festival.

Masochisme ou naïveté récidiviste, j’ai effectué un survol en rase-mottes au-dessus des 300 et quelques commentaires insipides qui ont suivi le billet malicieusement provoquant de la RDL sur le duo Marthaler-Pascaud : parmi les 3 ou 4 qui tentaient de surnager, j’ai lu (rédigé par dramatique !, le 18-07 à 18h44) : Podalydès semble faire un effort conséquent, combien de partenaires pour son Richard II ? Production Festival d’Avignon – coproduction France Télévisions, Les Gémeaux-Sceaux Scène nationale, Centre national de Création et de Diffusion culturelles de Châteauvallon dans le cadre d’une résidence de création, compagnie Aï, Théâtre de Nîmes, Le Phénix Scène nationale Valenciennes, Théâtre de la Place (Liège), Ircam-Centre Pompidou – avec la participation artistique du Jeune Théâtre national, de l’École nationale supérieure d’Art dramatique de Montpellier Languedoc-Roussillon, du Centre des Arts scéniques de la Communauté française de Belgique – avec le soutien de la Région Ile-France, du Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines Scène nationale, du 104 Établissement artistique de la Ville de Paris – avec l’aide de MMA et de SCOR – Le Festival d’Avignon reçoit le soutien de l’Adami pour la production. – La traduction de Frédéric Boyer est éditée aux éditions P.O.L.
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On estime à 10 millions d'euros le budget du IN - dont 60% d'origine publique (soit moins d'un millième des dépenses des collectivités trerritoiales et de l'État pour la culture), le reste semblant se partager moitié-moitié entre mécénat autre, et billets vendus.

Se reconvertir comme go-between
Cette fonction d’intermédiation bureaucratico-mécénatique, je l’ai mieux perçue alors que je sirotais un café, place de l’Horloge, en attendant le moment d’un débat à la Maison Jean Vilar toute proche. Dans mon dos, discussion logiquement imparable au sein d’un bon groupe de jeunes retraités, semble-t-il, dont le savoir faire était de prendre langue avec les subventionneurs locaux, embaucher des CDI pour faire tourner le bidule, présenter des projets, produire des rapports d’avancement rassurants… et ensuite contacter et faire affaire avec des compagnies qui n’auraient ainsi pas à s’encombrer de l’intendance. Les chiffres s’empilaient : 2500 euros de celui-ci, 7000 de celui-là, encore 600 d’un autre. Quand il m’a fallu partir, je crois qu’on n’était pas loin de 80 000 euros au total… en bonne partie reconductibles d’une année sur l’autre. Mais ne s’agissait-il pas du OFF plutôt que du IN ?

Car le OFF n’a apparemment pas les mêmes soutiens que son vis-à-vis mais néanmoins ami : son catalogue n’affiche qu’une douzaine de logos – collectivités locales proches et collecteurs de droits (SACD pour les auteurs, Sacem pour la musique, Spedidam pour les interprètes…), un peu de radio & TV, JCDecaux-city provider, et le TGV. Et à parcourir ce même et volumineux catalogue (plus de 1000 spectacles quotidiens par près de 900 compagnies dans une centaine de salles), on voit que bon nombre de spectacles (voire certaines salles) sont soutenus par des collectivités territoriales.

Les tiroirs-caisses du OFF
Après avoir fait le tour de quelques directeurs de salles, L’Express avait d’ailleurs conclu début juillet que pour émerger dans la jungle du OFF, il n’était pas seulement intéressant de s’appuyer sur un comédien célèbre et d’avoir une revue de presse favorable au préalable, mais qu’être poussé par une région n’était pas mal non plus. Certes, il fallait sortir du lot (un sélectionné sur 6 ou 7 candidats) mais on y gagnait notamment une bonne subvention, un lieu attirant, une communication efficace et la quasi-garantie que des programmateurs retiendraient le spectacle pour sa diffusion ultérieure. Autres tuyaux pour infléchir la décision des would-be spectateurs : jouer dans un bon théâtre, monter un classique, venir une année et revenir la ou les suivante(s).

Un spectacle OFF à Avignon est un investissement – et financier et corps et âme. Il paraît qu’une salle se loue entre 1000 et 1500 euros : à raison de 7 spectacles par jour, le directeur empocherait donc près de 10 000 euros pour le festival. Une compagnie, un peu nombreuse il est vrai, nous a dit qu’ils s’étaient cotisés et qu’ils verraient bien s’ils rentreraient dans leurs fonds à la fin du mois. Il y a aussi les tracts et les affiches (meilleur prix, 150 euros les mille sur Internet… Les mille ? c’est un peu beaucoup ! Oui mais il y a des gens qui nous en achètent…). Mais il faut aussi rester là près de 4 semaines, et ne serait-ce que manger et dormir – sans oublier les frais de transport : encore 1000 à 1500 euros par tête.

En face, il y a les recettes liées aux entrées – pas facile à estimer : déjà que les chiffres annoncés valsent allègrement entre 350 000 et un million de spectateurs, dont on ne dit pas s’ils sont uniques ou cumulés… Mettons 600 000… mais avec des invitations, des réductions, des une place achetée, une place promotionnelle gratuite au jugé, c’est du 8 plutôt que 14 euros la place – dans les 5 millions au total, ce qui, en moyenne, veut dire dans les 800 euros pour chacun des 6000 acteurs et techniciens qui sont embarqués dans le OFF.

Socio-économie
On pourrait continuer en se posant la question de ce que dépensent les spectateurs-touristes. Un tiers vient de la région ou des voisines ; un autre tiers de la région parisienne ou de l’étranger européen francophone ; et le reste d’ailleurs en France. Des statistiques un peu vieillottes et à confirmer disent qu’on commence vers 30 ans, qu’on est assez fidèle et que la moyenne d’âge est de 45 ans… et que les cadres (mais ni ceux des entreprises ni de la fonction publique ni les professions libérales) et les professions intellectuelles supérieures, en composent près de la moitié, alors qu’ils ne font pas 5% de la population en général. Trois femmes pour deux hommes.

Il semblerait aussi que les retombées économiques pour Avignon et ses alentours sont de l’ordre du triple du budget cumulé du IN et du OFF. Au moment de l’annulation en 2003, suite au mouvement des intermittents, certains restaurateurs et hôteliers ont demandé à être indemnisés. Le vent de panique qui a alors soufflé reste dans bien des mémoires et les conditions du devenir du festival sont – de ce point de vue – sous haute surveillance.

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