jeudi 22 juillet 2010

Avignon 2010 (VI)

Ce qui suit fait partie d'une série de plusieurs billets sur le festival d'Avignon de juillet 2010.

Scénographies de la Cour d’honneur

Cette rencontre se tient dans la cour de la Maison Jean Vilar. Elle est animée par Joël Huthwohl qui dirige le département des Arts du spectacle de la BNF, après avoir été responsable de la bibliothèque de la Comédie-Française. Il rappelle en introduction qu’en 1947 Jean Vilar avait aménagé la cour d’honneur comme une sorte de ring – un plateau et des chaises – puis qu’il y avait transposé, en 1951, le plateau de Chaillot. En 1967, le dispositif a pris la forme d’un amphithéâtre grec.

En 1982, une étude a été demandée au scénographe Guy-Claude François (qui participe à la présente rencontre), dont la 1ère version n’a pas été acceptée : elle conduisait à resserrer un ensemble plus adapté à la danse qu’au théâtre, vers une configuration plus élisabéthaine, en passant de 3000 à 2000 spectateurs, en dégageant par un balcon et en s’ouvrant vers le ciel ce qu’il y avait de trop enfoncé, et en harmonisant les matériaux utilisés. On a abouti à une 2ème version, sans le balcon – ce que le scénographe qui l’avait conçu continue clairement de regretter.

Alexandre Manzanarès avoue à quel point ceux de l’équipe en charge des lumières de la Cour (responsabilité qu’il assume depuis 6 ans) sont pris par un lieu aussi impressionnant, et de plus, sous l’œil permanent des nombreux spectateurs qui s’intéressent à cet aspect comme ils le font par ailleurs au jeu des acteurs : certains techniciens abandonnent parce que c’est trop, pour les autres il reste impossible de faire autre chose. La seule façon de s’en évader, c’est de regarder le ciel. Plus anecdotique : il a remarqué qu’à 90%, les artistes prononcent le nom de Jean Vilar en arrivant sur le plateau.

Jacques Lassalle fréquente Avignon depuis 1953. Il y a fait 14 créations dont trois dans la Cour (Don Juan en 1993, Andromaque en 1994, Médée en 1999). Il distingue trois périodes :
De 1950 à 1965, la Cour génère un répertoire, un style de jeu, une esthétique – il faut en être digne.
De 1965 à 2003, le festival d’Avignon perd son centre de gravité et son sens symbolique… mais comme on garde la Cour, on se demande comment y insérer des scénographies qui ne font pas appel au texte : danse, cirque, musique…
Depuis 2003, la question est : Comment s’en débarrasser – par l’effacement, la dérision, l’outrage. On ne peut écarter la métaphore à la Godard d’un paquebot de croisière (le Titanic ?) où se condense une société qui, par hérédité sociale ou économique, a trop de pouvoir et d’argent.
Vous voyez – dit Lassalle qui préside la Maison Jean Vilar – que j’essaie de garder les colères de celui-ci sur la fonction du théâtre. Car – mieux que certaines MJC – la Cour est très conviviale, familière, merveilleusement adaptée aux corps et à la voix humaine. Elle ne pose problème que depuis que ceux qui en ont la charge n’en sont plus les producteurs. Lassalle reprend le thème (voir le billet sur l’archivage Internet) du syndrome de la révolution permanente – enfer où, si on a eu du succès à Avignon, après ce ne sera plus comme à Avignon… et si c’est un échec, cet échec ne saurait être que permanent.

Professeur à l’Institut d’études théâtrales de la Sorbonne nouvelle, Georges Banu est un habitué d’Avignon. Il y coordonne souvent des rencontres et des débats. Dans ce qu’il aborde cette fois-ci, il met notamment l’accent sur la verticalité du mur de la Cour d’honneur. Il rappelle que pour Lucrèce Borgia en 1985, l’acteur Jean-Pierre Jorris, un ancien du TNP, avait tourné le dos pour saluer le mur… et que cela n’avait pas plu à Antoine Vitez, le metteur en scène, qui avait trouvé que cela faisait trop Vilar. Ce mur est en fait plus moral (dignité) que poétique : à son égard, les attitudes de Vilar et Vitez auront été opposées. Il y a un appel de la verticale mais celle-ci peut se venger : Frédéric Fisbach, artiste associé en 2007, l’a appris a ses dépens ; Krzysztof Warlikowski a mieux réussi son Apollonia à Chaillot qu’à Avignon. Il y a des metteurs en scène qui ont refusé la cour – par ex. en lui tournant le dos, ou en installant une tour circulaire au milieu.

En sociologue, Jean-Louis Fabiani, directeur d’études à l’EHESS, s’intéresse au fait que le Palais des papes a été un lieu de défense et de pouvoir religieux et politique. Après la révolution et en attendant sa restauration, il a abrité une caserne et une prison. On circule ainsi entre des espaces de signification – approfondissement du rêve postrévolutionnaire, création de rituels dans un espace républicain, lieu de malentendus. D’où : Qu’est-ce qu’un espace civique inégalitaire ? Qu’est-ce que la culture théâtrale peut nous dire sur le pouvoir ? Et, partant d’une intention laïcisante (Vilar), l’irruption de la spontanéité ramène à une dimension religieuse… mais peut-on encore, dans un espace désormais commercialisé, et blasphémer et dire qu’on est un mécréant ?

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