dimanche 22 août 2010

Toile, étendards et linceuls


La discussion roule rondement entre Ivona et Till – mais bientôt quelques thèmes communs se dégagent. McLuhan aurait considéré ce dernier comme un bon représentant de sa galaxie Gutenberg tant il se réfère à l’écrit imprimé pour étancher sa curiosité du monde. Et il aurait sans doute localisé Ivona, poisson dans l’eau de toutes les nouvelles technologies, dans sa galaxie Marconi éclose quelques cinq siècles plus tard.

Bond en avant
Mais quelle galaxie Marconi ? Car – même si plusieurs des intuitions de Marshall McLuhan tiennent toujours la route – cela fait plus de 40 ans que son ouvrage-clé (*) est paru, alors que le medium en pleine essor était la télévision. La technologie a évolué depuis… or n’est-ce pas elle qui, selon notre auteur, conditionne les médias et donc les messages qui s’y véhiculent ? Tant que la loi de Moore ne se dément pas, selon laquelle, pour le même prix, les performances des TIC (technologies de l’information et de la communication) sont multipliées par deux tous les 18 mois, un impressionnant bond en avant a été effectué depuis qu’elle a été énoncée : plus d’une vingtaine de duplications jusqu'à ce jour…
(*) Understanding Media: The Extensions of Man, de Marshall McLuhan, paru chez McGraw-Hill en 1964.

Médaille Fields
Pas nécessaire de faire appel aux lauréats de la Médaille Fields (le Nobel des mathématiques, tous les 4 ans) de cette année, que ce soit le Russe Stanislav Smirnov (un Genevois titre la presse romande, puisqu’il y enseigne) ou Ngo Bau Chau (de Hanoï, naturalisé Français il y a quelques mois, professeur à Princeton et Chicago notamment), Cédric Villani (né à Brive-la-Gaillarde) ou l’Israélien Elon Lindenstrauss, il suffit d’écouter la réponse d’Ivona : c’est une multiplication par plusieurs millions, qui équivaut au total de la progression moyenne de 3% par an que l’on a connu dans ce domaine depuis l’invention de Gutenberg vers 1400.

Guerres de religion ?
Revenons à nos moutons – donc au sujet qu’ont sélectionné nos deux comparses : Facebook… mais sous quelques angles particuliers.

Ivona est témoin de la passion avec laquelle divers utilisateurs défendent les choix qu’ils ont été amenés à faire – qu’il s’agisse de matériel (Apple ou PC… et/ou i-quelque-chose ?), de système d’exploitation (pourquoi pas Linux ?), de navigateur (il commence à en pleuvoir au point que certains s’interrogent gravement sur la date du décès d’Internet Explorer)… et, leur empire s’étendant désormais à la planète entière, les réseaux sociaux.

Elle a noté que Francis Pisani, journaliste freelance qui s’est progressivement focalisé sur les nouvelles technologies et leur impact sur la société, a abordé ce thème fin juillet, dans son blog Transnets (
http://pisani.blog.lemonde.fr/). Après avoir souligné qu’il a goûté un peu à tout, celui-ci remarque que le choix de l’ouverture fait par Google lui permet d’être omniprésent (ce qui lui donne un pouvoir immense mais problématique), tandis qu’Apple, en pleine croissance dernièrement, offre à ses utilisateurs une protection qui les rassure mais menace d’étouffer les possibilités d’innovation non prévues par son grand manitou. C’est là que surgit Facebook, partout comme Google mais doté d’une pulsion visant à centraliser les informations de ses centaines de millions d’utilisateurs et de ceux qui gravitent sur ses satellites.

Francis Pisani met en garde, ceux qui sont tentés de se transformer en défenseurs d’un bord ou d'un autre et note l’émergence de nouvelles guerres de religion, avec constitution de chapelles et de partis (notamment autour d’Apple, Androïd, Open source, en attendant les amis de Facebook…).

Gouverner un État virtuel ?
Coïncidence ? Dans le numéro du 24 juillet de The Economist, Till a coché un article sur Facebook : Social networks and statehood - The future is another country. Le sous-titre précise : Despite its giant population, Facebook is not quite a sovereign state - but it is beginning to look and act like one.

Qu’est-ce que cela cache ? Le constat est que la population en réseau de Facebook se situe désormais entre celles des États-Unis ou de l'Union européenne et celles de l'Inde ou de la Chine. Il ne s'agit bien sûr pas d'un pays au sens conventionnel du terme mais Facebook permet à nombre de gens d'y faire diverses causes communes et d'y prendre partiellement en main leur destin. Il constitue aussi, comme bien des États, un lieu de sentiment d'appartenance, ne serait-ce qu'imaginée, pour des millions de gens. Des passerelles, voire des viaducs, en arrivent à se tisser entre cyber-monde et réalité.

Ce que l'on pourrait appeler sa gouvernance reste peut-être embryonnaire mais, sur une ligne de crête pas évidente entre une liberté orientée et un total laisser-faire, Facebook a néanmoins expérimenté une relation avec la base en lui donnant quelques occasions de voter sur des évolutions envisagées. Il a également pris des initiatives à retombées économiques (ex. : monnaie virtuelle Facebook). L'article passe également en revue quelques cas de relations, parfois négociées parfois plus musclées, avec certains États.

L’état-civil et les pompes de la privacy
Est-ce Ivona en effleurant son clavier ou Till qui extrait son exemplaire papier du fond de son porte-document ? C’est tout frais de quelques jours (
http://www.letemps.ch/ – 20 août) et on peut le parcourir, signé par Mehdi Atmani dans le quotidien suisse romand, Le Temps : Des millions de morts hantent Facebook – avec un sous-titre également : Plus de 1% des profils actifs sur le réseau social appartiennent à des utilisateurs décédés. A terme, faudra-t-il léguer nos données numériques ?

Rappel obligé : Facebook compte plus de 500 millions d’utilisateurs à travers le monde (près de 20 millions en France ?). Selon un consultant genevois : Sur l’ensemble des profils existants, 100 millions représentent des pages déchets, scams ou spams Et parmi les 400 millions qui restent, combien de morts ? Avec le taux de mortalité mondial fourni par les Nations unies, entre 3 et 4 millions, estime-t-il. D’autant que les personnes âgées s’y intéressent de plus en plus (6,5 millions d’utilisateurs de plus de 65 ans rien que pour les États-Unis - trois fois plus qu’un an plus tôt). Questions : Qu’advient-il de notre identité en ligne lorsque nous mourons ? Nos données, mots de passe….sont-ils transmissibles ? Comment garantir la protection de la vie privée du défunt ?

Depuis bientôt un an, Facebook met à la disposition un formulaire permettant de signaler le décès d’un ami, se charge de vérifier auprès des proches, et délègue à la famille le contrôle du compte. Mais d’autres informations privées du défunt restent sur la Toile. Il existe des compagnies américaines spécialisées dans le nettoyage des données numériques des utilisateurs décédés, moyennant 10 à 30 dollars par an. Chaque jour, ou chaque mois, selon l’option choisie, on envoie un courriel auquel il est impératif de répondre. Une fois l’acte de décès virtuel établi, les données personnelles sont détruites et la communauté virtuelle du défunt est informée.

S’agissant de la Suisse romande, l’auteur de l’article indique que les sociétés de pompes funèbres semblent n’avoir pas encore été confrontées à cette question mais que, déjà, des notaires recommandent d’indiquer, dans un document annexe au testament, l’ensemble de ses données numériques.

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