mardi 10 août 2010

Entre les deux… (7)


Intégrer versus morceler
Nous poursuivons l’examen de ce qui différencie les hémisphères du cerveau. C’est ainsi que, au sein de l’hémisphère gauche et des régions qui le composent, l’interconnexion est relativement intense, alors que le cortex droit est plutôt en communication avec des régions qui lui sont extérieures. Ceci illustre la tendance du gauche à se référer de préférence à lui-même et à un monde déjà connu. Le droit est, lui, en mesure d’intégrer des informations en provenance des différents sens de la perception et de construire un monde spatial à trois dimensions. De plus, sa mémoire active se maintient sur une plus longue durée, et se dégrade donc moins.

Hiérarchie de l’attention
L’attention exploratoire globale qui le caractérise fait que l’hémisphère droit mène le jeu – et pas seulement à cause d’une anticipation qui ne serait que temporelle. Il sert alors de guide en façonnant l’attention d’un hémisphère gauche qui, dans une phase ultérieure, va s’accrocher à des éléments pré-catalogués comme prioritaires (à titre d’exemple, pour un schizophrène - qui a perdu cette capacité globalisante de l’hémisphère droit - la figure qui illustre le présent billet comporte une foule de petites lettres E... mais il ne reconnaît pas la forme d’un plus grand H qu’ils dessinent pourtant).

Lorsque nous avons le sentiment d'être parvenu à identifier une image, en donnant pour raison que nous l’aurions reconstruite après coup à partir de ses éléments, cette suposée démarche est en quelque sorte une illusion qui prend naissance dans un hémisphère gauche à dominante verbale et proche de la conscience.

On remarque aussi que l’hémisphère droit (qui est globalisant et qui reçoit préférentiellement ce qui lui provient des champs visuel et auditif qui sont sur notre gauche) a cependant accès à la moitié droite de cet espace. Pour l’hémisphère gauche, cela se passe de façon beaucoup plus stricte : seule la moitié droite de l'espace lui est accessible.

On s’en aperçoit chez les patients chez qui le passage entre les deux hémisphères a été sectionné : ceux qui, de plus, ne dépendent que de l’hémisphère gauche n’arrivent plus à prendre en compte la moitié spatiale gauche, au point de ne plus pouvoir lire, se raser ou s’habiller de ce côté-là (voir - très schématiquement - le demi-chien qui est tout ce qu'un patient de ce type parvient à le dessiner, dans l’illustration qui introduit ce billet). Soyons clair : ce ne sont pas des questions de mauvaise vision ou de surdité – c’est dans le cerveau que cela se passe.

Constatation supplémentaire : livré à lui-même, puisque l’hémisphère droit est neutralisé, le gauche semble chercher à surcompenser en portant une attention accrue à la moitié droite de l’espace avec laquelle il est en relation – et ce dans son propre registre qui consiste à privilégier les éléments plutôt que l'ensemble. Exemple : un patient dans ce cas et qui était sur le point de franchir le pas d’une porte, est resté scotché à fixer des yeux les gonds qui étaient sur la droite.

Les observations que l’on vient de faire ne se transposent pas quand c’est l’hémisphère droit qui fonctionne seul (il continue d’avoir accès à la totalité de l’environnement spatial). Il est probable que ce soit cet hémisphère qui contrôle la coordination du mouvement des yeux. Par ailleurs, non seulement l’hémisphère gauche prend le relais à partir de ce qui lui a été fourni par le droit, mais il lui restitue ensuite ce à quoi il est parvenu. Il faut enfin noter que par le biais du pont jeté entre les deux hémisphères (corps calleux), le droit a une capacité inhibitrice sur le gauche, plus importante que celle en sens inverse.

Le tout versus les parties
A l’opposé de l’hémisphère gauche, le droit voit donc d’abord un tout et non une somme de parties : sa recherche relève de la reconnaissance des formes complexes. Exemple de cette démarche : un dalmatien dans l’ombre tachetée d’un arbre pas trop touffu ; ou une tenue de camouflage. Ils sont difficiles à repérer mais cela devient plus évident si une partie se détache en plein soleil sur un fond plus homogène – c’est à ce moment qu’on a la surprise de les découvrir.

Revenons au cas de personnes dont le passage entre les hémisphères a été sectionné : ils parviennent difficilement à faire le lien entre quelque chose qu’ils ont vu et ce qu’on leur donne à tâter de la main droite (qui est commandée par l’hémisphère gauche), alors que cela va nettement mieux avec la main gauche.

Graphiquement, ceux dont l’hémisphère droit est endommagé ont grand mal à dessiner un ensemble : pour le dessin d’un bonhomme, la position des bras ou du tronc pourra être aberrante – si jamais ils y figurent. Mais si c’est l’hémisphère gauche qui a été atteint, le dessin de l’ensemble – même appauvri – sera beaucoup plus convenable. Ce qui vient d’être évoqué ne se limite pas au seul champ visuel ; il inclut notamment l’ensemble de la perception et la motricité.

Contexte versus abstraction
Non seulement l’hémisphère voit chaque chose comme un tout mais aussi dans son contexte. Le gauche, en revanche, s’appuie sur des étiquetages (ex. : il déduit qu’on est en hiver parce qu’il a trouvé janvier). Ceci a son importance en matière de langage, seul l’hémisphère droit sachant en traiter les aspects autrement qu’à la lettre – grâce à quoi il peut accéder au sens de l’humour… auquel les schizophrènes, qui ont un déficit de ce côté-là, ne parviennent pas.

Le gauche s’accroche, en revanche, à la cohérence logique interne – ce qui peut être une force dans les cas où il faut se dégager de certaines fausses pistes de l’intuition (ce qui arrive parfois pour la philosophie). On est alors dans le domaine de l’abstraction (on s’extrait du contexte) qui, couplé au raisonnement par catégories, se traduit par une plus grande capacité intellectuelle.

L’hémisphère gauche stocke une information qui demeure relativement invariante en dépit du contexte, tandis que le droit a affaire à ce qui existe effectivement dans le monde réel. Le langage de cet hémisphère provient de choses enracinées dans leur contexte, et il s’occupe des relations que ces choses ont entre elles. Les concepts, les mots, la synthèse abstraite… relèvent de l’hémisphère gauche. Dès que celui-ci occupe le devant de la scène, il masque que son alter ego, à droite, dispose pourtant d’un vocabulaire plus riche qui comporte des mots parfois assez longs, inhabituels et ne se raccrochant pas forcément à des images.

Autre élément de différentiation : l’emploi de symboles à multiples ramifications (par ex. le symbole de la rose) par l’hémisphère droit, par opposition à ceux à signification limitée (ex. feu rouge = stop) par le gauche. Capacité enfin de la part de l’hémisphère droit de comprendre les métaphores – tandis que le gauche ne s’en tient qu’à des formes dégradées (par ex. ce que l’on appelle des clichés) et peut, dans de tels cas, parfois faire illusion.

Éléments individuels versus catégories
L’hémisphère droit est le mieux équipé pour distinguer des exemples spécifiques au sein de catégories. C’est grâce à lui que nous pouvons identifier des lieux, des visages, des voix… Il est donc d’abord concerné par le côté unique ou l’individualité des personnes ou des choses, vivantes ou non.

Côté hémisphère gauche, ce sont les catégories, ce qui est le plus général, les objets non-spécifiques… qui l’emportent. Sa supériorité se manifeste pour identifier des formes simples. Dans certains cas particuliers (ex. : excès de dopamine, médicaments pour la maladie de Parkinson), et même un peu chez chacun d’entre nous… l’hémisphère gauche a tendance à s’emballer et se met à rassembler et à catégoriser pour son propre compte plutôt que de recueillir ce qui lui vient de son voisin de droite… parfois dans une ambiance de collectionnite aigue.
.

.
The Master and his Emissary – The divided brain and the making of the Western world – Iain McGilchrist – Yale University Press – 2009 – 597 pages.
.
Après une pause juilletiste, le présent billet fait suite à celui du 7 juillet. Il fait partie d’une séquence sur le Cerveau commencée le 4 juin 2010 (voir la liste des thèmes dans la marge de droite). Il n'est pas exclu qu'au cours de la traduction et en cherchant à condenser, il y ait eu des erreurs ou une mauvaise compréhension : se référer directement à l'ouvrage mentionné ci-dessus.

Aucun commentaire: