dimanche 15 août 2010

Entre les deux… (9)


Réceptivité émotionnelle
L’hémisphère droit est plus rapide et plus précis que le gauche pour détecter les expressions du visage qui traduisent des émotions. Il en va de même pour l’intonation de la voix et les gestes. Si cet hémisphère est endommagé, une telle capacité est entravée. C’est aussi de ce côté que se trouve la mémoire émotionnelle. Notons néanmoins qu’il se concentre sur l’expression des yeux tandis que l’hémisphère gauche s’intéresse davantage au bas du visage et à la bouche (on est alors dans un registre ami / ennemi).

On a déjà mentionné que c’était l’hémisphère droit qui était capable de reconnaître le caractère unique d’un visage. On apprend ici qu’il lui porte attention à un deuxième titre : y lire des émotions. Il fait aussi le lien entre ces deux aspects – comme on le constate dans la relation de l’enfant avec sa mère (idem pour la voix). Cela est notamment dû à la perception globale (et non une agrégation de parties) qui le caractérise. Le visage sert aussi de point de départ pour apprécier l’âge, le sexe, ainsi que le caractère attirant ou non d’une personne.

Revenons à la reconnaissance des visages grâce à l’hémisphère droit : une telle capacité remonte assez loin dans la chaîne de l’évolution : c’est ainsi que les moutons arrivent à se souvenir, plusieurs années après, de visages humains ou de la face de leurs congénères (remarque personnelle : relire le conte d’Alphonse Daudet sur la Mule du pape).

Expressivité émotionnelle
A la capacité de percevoir les émotions comme on vient d’en faire état, s’ajoute le rôle vital qui est joué par l’hémisphère droit pour les exprimer à l’aide du visage, de la voix, ainsi que des positions du corps. D’une façon générale (sauf pour la colère), le cerveau droit est clairement dominant pour cette expression des sentiments (on remarque a contrario qu’il y a des enfants autistes qui n’en sont pas capables). C’est cet hémisphère qui déclenche les expressions du visage, en réponse à des émotions ou à de l’humour – notamment par le sourire ou par le rire – et exprime (ce qui est propre aux humains) la tristesse par des larmes.

A cet égard, le côté gauche du visage, qui est sous son contrôle, est le plus impliqué pour exprimer les émotions – et c’est celui qui est examiné le plus attentivement pour les percevoir. Une chose curieuse pourtant : les échanges émotionnels étant conditionnés par le milieu culturel auquel on appartient, il se révèle difficile d’en décoder les jeux subtils sur la partie gauche du visage, d’une culture à l’autre. Même si c’est moins riche, on se rabat alors sur l’observation de sa partie droite. La spécialisation qui privilégie le côté gauche se traduit, depuis 2000 à 4000 ans et de façon quasi-universelle, dans la manière de bercer : de la part de la mère aussi bien que de l’enfant, c’est de préférence cette face-là que l’autre peut observer en priorité – les chimpanzés et les gorilles ont tendance à se comporter de façon analogue.

Différences dans l’affinité émotionnelle
Nous venons de le voir, l’hémisphère droit donne une signification émotionnelle à ce que nous percevons et joue un rôle extrêmement important dans l’expression de notre personnalité. Ce qui ne veut pas dire que l’hémisphère gauche est hors jeu. Où se situe la différence, outre qu’il s’intéresse à la partie inférieure du visage ?

Le gauche s’attache également à des aspects plus superficiels et sociaux de l’émotion, ainsi qu’à la représentation consciente de celle-ci. Il se manifeste aussi, tant qu’on en reste à des expressions relativement neutres (ex. : peinture abstraite non-émotionnelle).

Bien des hypothèses ont été avancées quant au partage des rôles entre les deux hémisphères à ce sujet – mais peu semblent avoir résisté à l’épreuve des faits. Un certain consensus existe néanmoins pour rattacher la colère à l’hémisphère gauche, tandis que le droit serait mieux en phase avec la tristesse – des émotions plus positives faisant appel à l’un comme à l’autre. Il semble aussi que, tant sur le registre positif que sur le négatif, la capacité d’établir des liens avec autrui ainsi que l’empathie relèveraient plutôt du droit, alors que la rivalité et la confiance en soi-même seraient traitées par le gauche.

Il y a aussi la question de la perception des couleurs : leur identification consciente viendrait de l’hémisphère gauche, alors pourtant que leur perception dans l’imagerie mentale est attribuée au droit. Les tests neuropsychiques et l’étude des lésions du cerveau portent à conclure que ce dernier est mieux outillé pour percevoir et discriminer les couleurs.

En approfondissant un peu, le droit préfèrerait le vert (ainsi que ce qui est orienté horizontalement), tandis que ce serait le rouge (et le vertical) qui aurait les faveurs du gauche. Or le vert – que l’on associe souvent à l’innocence de la nature et à la jalousie – a aussi à voir avec la mélancolie : rappelons-nous que, dans les temps médiévaux, au côté gauche du corps on attribuait un caractère atrabilaire… et que, par la suite, le spleen, la mélancolie, la passion et le sens de l’humour ont également été rangés de ce même côté.

Il ne faut en fait pas se limiter à une simple analyse comparative entre les deux hémisphères (qui, en termes d’évolution, correspondent aux développements des plus récents du cerveau parmi les espèces) mais prendre en compte des zones plus anciennes qui se situent à l’arrière. Les recoupements à partir de cas où ce sont soit le pôle frontal droit, soit le gauche, soit ces zones en arrière qui ont été endommagés, conduisent aux conclusions ci-après, relatives aux dérives maniaques (excès d’euphorie et d’activité) ou dépressives.

Ce serait le pôle frontal droit qui favoriserait les tendances ou phases dépressives – d’autant plus, si les autres zones mentionnées se trouvent avoir été inhibées… idem pour le pôle gauche pour les tendances ou les phases maniaques. Dans les cas où, pour ces autres zones, il n’y a pas de lésion irréversible et qu’on peut donc les stimuler, on peut envisager un traitement médicamenteux (ex. : avec des antidépresseurs). Par ailleurs, selon la localisation du déséquilibre d’une zone à l’autre, le cas de la dépression peut se traduire par une apathie (ex. : si c’est une zone arrière droite qui est inhibée) ou par un état d’angoisse (ex. : lésion de l’hémisphère gauche) – une analyse plus fine conduisant à des conclusions plus nuancées.

The Master and his Emissary – The divided brain and the making of the Western world – Iain McGilchrist – Yale University Press – 2009 – 597 pages.
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Le présent billet fait suite à celui du 13 août. Il fait partie d’une séquence sur le Cerveau commencée le 4 juin 2010 (voir la liste des thèmes dans la marge de droite). Il n'est pas exclu qu'au cours de la traduction et en cherchant à condenser, il y ait eu des erreurs ou une mauvaise compréhension : se référer directement à l'ouvrage mentionné ci-dessus.

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