samedi 7 août 2010

Entre les deux… (6)


Nous venons de nous intéresser à l’asymétrie qui caractérise notre cerveau. Voyons maintenant plus en détail ce qu’y font les deux hémisphères. Nous aborderons les sentiers de la connaissance, avant de nous arrêter sur un série de mises en opposition : largeur d’éventail / focalisation ; l’éventuel / le prévisible ; rassembler / diviser ; le tout / les parties ; contextuel / abstrait ; individualités / catégories ; personnel / impersonnel ; le vivant / le non-vivant ; rationnel / irrationnel… en passant par des développements sur : la hiérarchie de l’attention ; les différences dans la similitude ; l'empathie et penser à la place de l'autre ; l’asymétrie, la réceptivité et l’expressivité émotionnelles ainsi que les différences dans l’affinité émotionnelle ; les corps jumeaux ; le significatif et l’implicite ; la musique et le temps ; la profondeur ; la conscience de soi et le timbre émotionnel ; le sens moral ; le soi ; le problème devant-derrière. Vaste programme donc, qui occupe 15% de l’ouvrage et dont nous allons déguster quelques extraits concentrés à la petite cuiller.

Nous avons déjà pu identifier d’importantes différences entre les deux hémisphères, en termes de localisations anatomiques et fonctionnelles. Tout significatif que cela soit, a-t-on pour autant épuisé le sujet ? Une approche analytique en effet, tend à mettre l’accent sur les différentes parties étudiées et à restreindre une activité dans une partie délimitée du cerveau, quitte à laisser dans l’ombre le fonctionnement dynamique d'ensemble.

Nous avons aussi vu que – chez l’homme comme pour la plupart des mammifères – l’hémisphère droit était plus long, plus large et plus lourd que le gauche. Ce dernier ne prend sa revanche que dans l’aire pariéto-occipitale postérieure et l’on peut, dès la 31ème semaine de la grossesse, y identifier le développement de celle de la parole.

On constate aussi une meilleure communication des neurones entre les différentes parties de l’hémisphère droit (imagerie globale), alors que, pour le gauche, cette communication se fait de préférence à l’intérieur de chaque région. Différences aussi, au plan neurochimique pour la sensibilité aux hormones (ex. : tostérone du côté droit) ou aux neurotransmetteurs (ex. : dopamine, à gauche). Mais c’est surtout lorsqu’on va et vient du qu’est-ce que c’est ? (whatness) au comment ? (howness) que les véritables oppositions apparaissent.

Sur les sentiers de la connaissance
Ne raisonnons donc pas trop à partir de fonctions localisables mais plutôt comme s’il s’agissait de réseaux fonctionnant comme un tout.

Pour étayer ce que nous cherchons, diverses situations peuvent être étudiées : les cas de personnes avec une lésion dans le cerveau ; la désactivation temporaire de l’un des hémisphères en y injectant un anesthésiant ; l’émission, d’un côté seulement, de stimuli artificiels (visuels ou auditifs) ; le cas où l’on a sectionné le corps calleux qui relie les deux hémisphères – la personne est dans l’incapacité, par exemple, de nommer un objet qui se trouve dans son champ visuel gauche, alors qu’il arrive à le désigner de la main ; les différentes techniques (électro-encéphalogramme, imagerie du cerveau, résonance magnétique…).

Il faut néanmoins tenir souvent compte du QI, du fait que le sujet est droitier ou gaucher, du sexe, de la complexité des tâches… De plus une approche prise isolément ne suffit pas et, à l’opposé, le cumul de diverses approches peut ne pas aboutir à un ensemble très cohérent. On parvient néanmoins à discerner des différences qui caractérisent chaque hémisphère.

Large éventail et flexibilité versus focalisation et ancrage
Importance de l’attention : notre cerveau nous met en relation avec ce qui existe en dehors de nous – mais selon des aspects qui dépendent de la nature de notre attention.

Lorsqu’il s’agit d’utiliser le monde à notre avantage, il nous faut être sélectif. Cela implique un certain filtrage opéré sur une sorte de copie virtuelle, une représentation que nous nous en sommes faite à partir d’expériences antérieurement accumulées. Cette capacité à visée utilitaire relève de l’hémisphère gauche et d’une attention focalisée. L’hémisphère droit fait appel à un spectre d’attention plus large et plus flexible, qui dépend moins de schémas préconçus

A partir de fonctions qui se rattachent à certaines zones du cerveau, la neuropsychologie ordonne l’attention selon un axe d’intensité (vigilance, attention soutenue, vivacité) et un autre de sélectivité (focalisée ou répartie). L’étude des lésions, par exemple, tend à montrer que ces fonctions sont présentes dans l’hémisphère droit, à l’exception de la sélectivité focalisée qui caractérise le gauche. C’est ainsi que, selon les lésions, les personnes qui ne peuvent s’appuyer que sur l’hémisphère gauche, partent de préférence des éléments avant de reconstituer un tout – tandis que celles qui ne peuvent s’appuyer que sur l’hémisphère droit privilégient une approche plus globale.

Ce qui est nouveau versus ce qui est déjà connu
Nous avons eu l’occasion de rappeler que l’hémisphère droit était en charge d’une vision plus périphérique. C’est aussi par lui que nous appréhendons ce qui est nouveau. Il est d’ailleurs meilleur réceptacle de la noradrénaline et l’on observe des modifications préférentielles dans l’hippocampe droit. Il en va de même pour l’apprentissage relatif à de nouvelles informations, et de nouveaux savoir-faire. Une fois ceux-ci acquis, l’hémisphère gauche prend le relais, comme sélectionneur plus efficace parmi ce qui est connu et prévisible. En revanche, le droit reprend l’avantage dans les situations moins prévisibles – cela vaut aussi pour une bonne partie des mammifères.

L’éventuel possible versus le prévisible
Une personne ayant une lésion au lobe frontal droit peut ne plus arriver à faire face à de nouvelles situations et cherche alors, de façon inappropriée, à reproduire des réponses qui avaient antérieurement fait leurs preuves. Devant un problème à résoudre, l’hémisphère droit présente différentes solutions : celles-ci restent disponibles pendant que les autres sont en cours d’examen – à la limite, il se fait l’avocat du diable.

Ce qui précède ne se cantonne pas au seul champ visuel et joue pleinement du côté verbal. Alors que l’hémisphère gauche opère un tri très sélectif sur les significations et sur les mises en relation des mots, le droit va chercher beaucoup plus loin – d’où un style plus créatif. Cela vaut, de plus, à un méta-niveau, au point de pouvoir utiliser ce que fait l’hémisphère gauche, alors que la réciproque n’est pas vraie.

A cet égard, plutôt que de faire un effort de volonté (par exemple, quand on a un mot sur le bout de la langue) allant dans le sens d’une plus grande focalisation, il peut être préférable de s'en abstenir, de se relaxer, afin de parvenir à la solution. On fait ainsi appel à une plus grande créativité, aussi bien intellectuelle qu’émotionnelle, celle-ci pouvant aussi se déployer lorsque l’hémisphère gauche est sous effet de choc. Il faut néanmoins reconnaître qu’il arrive que la créativité relève des deux côtés à la fois. A preuve qu’elle est affectée dans les cas où le corps calleux, qui établit la jonction entre les deux hémisphères, a été sectionné – c’est donc une fonction importante qu’il assume.


The Master and his Emissary – The divided brain and the making of the Western world – Iain McGilchrist – Yale University Press – 2009 – 597 pages.
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Après une pause juilletiste, le présent billet fait suite à celui du 25 juin. Il fait partie d’une séquence sur le Cerveau commencée le 4 juin 2010 (voir la liste des thèmes dans la marge de droite). Il n'est pas exclu qu'au cours de la traduction et en cherchant à condenser, il y ait eu des erreurs ou une mauvaise compréhension : se référer directement à l'ouvrage mentionné ci-dessus.

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