jeudi 21 janvier 2010

Un 21ème siècle européen ?

La famille de l’auteur du scénario américain (voir le billet précédent) avait survécu à la Shoah puis fui la Hongrie pour les États-Unis au moment de la mainmise soviétique. Celui du modèle européen – Parag Khanna – est également américain mais d’une autre génération (il a 32 ans) et né au nord de l’Inde, dans l’Uttar Pradesh. Analyste en vue en matière de relations internationales, il a publié The Second World en 2008. Ce terme recouvre un ensemble de pays, entre le Tiers-monde et le trio des grandes puissances (États-Unis, Union européenne et Chine) qui cherchent à les entrainer dans leurs zones d’influence respectives. On annonce la sortie d’un autre de ses ouvrages chez Random : How to run the World.

Le modèle européen s’impose partout – l’article sur lequel s’appuie Courrier International est paru l’été dernier dans la revue berlinoise Internationale Politik (qui est éditée en allemand, en anglais, en russe et en chinois). La version en anglais s’intitule Europe 2030 : A Postmodern Middle Ages.
http://www.ip-global.org/archiv/volumes/2009/summer2009/download/1de670decc00026670d11de99db33f8315071d171d1/original_209_khanna.pdf

Grèce, Empire romain, Moyen-âge, Renaissance, États-nations… Étape après étape, l’Europe a imprimé sa marque dans le monde. Son économie sociale de marché – lieu d’équilibre entre le capitalisme à l’américaine et étatisme excessivement dirigé – pourrait fournir la bonne réponse sur le chemin qui reste à parcourir vers une gouvernance mondiale. Empires en expansion, croisades, déploiement des communications et du commerce, tissu des universités : avec sa longue période d’incertitudes, un nouveau Moyen-âge s’amorce.

Comme les cités-États d’alors, les villes planétaires actuelles dont la liste s’allonge, deviennent des centres d’activité quasiment coupés de leur ancrage géographique. Elles financeront leur propre défense. C’est à des chevaliers, mercenaires et condottieres du 21ème siècle que sera confiée la sécurité mondiale. Autre liste qui s’allonge : celle des milliardaires parmi lesquels on commence à distinguer de nouveaux Médicis pour demain.

Et l’Union européenne ? L’acquis communautaire a déjà commencé à refondre de l’intérieur les États qui en sont déjà membres. Il pourrait se propager vers la Turquie (pont vers l’Asie centrale et le Proche-Orient) et vers l’Ukraine (et plus loin ?) tout en élargissant son influence dans le Maghreb. De façon plus générale un donnant-donnant entre énergie et développement économique. Sur le plan militaire, en fusionnant ses armées, l’Union européenne sera en mesure de maîtriser son propre espace – et de disposer d’une force d’interventions ponctuelles, sans suivre le chemin (actuellement constaté) des occupations de longue durée.

Ce modèle de gouvernance régionale inspirera les Amériques, l’Asie de l’Est et, jusqu’à un certain point, l’Afrique. Les États-Unis pourraient s’en inspirer également et l’étendre à leur politique étrangère : libéralisation et modernisation de sa périphérie ; attitude moins doctrinaire vis-à-vis d’une Chine qui aura alors achevé de rétablir son statut d’empire du Milieu.

Épidémies, flux migratoires – voire hordes fuyant certaines zones menacées, très lente instauration d’une gouvernance mondiale : nous sommes embarqués pour un long Moyen-âge dans l’attente d’une hypothétique Renaissance.


Plus ramassé (il s’agit d’extraits), un autre scénario proposé par Courrier International (L’islam à la conquête du Vieux Continent ?) jouxte celui qui vient d’être présenté. Il n’a pas été publié à Berlin mais à Vienne, dans Profil, sorte de Spiegel à l’autrichienne.

On prévoit une croissance démographique des musulmans en Europe – mais il faudrait éviter d’en déduire qu’il en résultera une théocratie islamique. Deux des rédacteurs de l’hebdomadaire attirent l’attention sur les points suivants :
Accroissement oui, majorité non. Point de départ actuel : 3,5% de la population de l’Union européenne. Il faudra y rajouter l’immigration et le différentiel de fécondité (qui s’amenuise).
Pas de radicalisation religieuse annoncée : à peine 10% des musulmans nés en Europe sont membres d’une association liée à une mosquée.
Ni anti-démocratie ni pro-théocratie : comme pour le reste de la population autrichienne, les musulmans originaires de Turquie se disent attachés aux valeurs de démocratie et de liberté d’opinion ; les 2/3 prônent une séparation de l’Église et de l’État.
Les musulmans qui ont migré et grandi en Europe ne forment pas un groupe homogène (ni origines, ni traditions, ni priorités qui leurs sont communes).
Une minorité place la religion au-dessus des lois de l’État : si, en Autriche, 45% sont adeptes d’un tel islam politique, ils ne sont plus que 21% à vouloir en intégrer les principes dans la législation nationale.

N.B. – Dans une introduction en forme de scénario-fiction, l’article évoque une république islamique au cœur de l’Europe, qui se serait constituée autour de Vénissieux, près de Lyon. Dans le courrier des lecteurs, une ou deux semaines plus tard, le maire de Vénissieux a réagi en s’exprimant énergiquement.

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