dimanche 3 janvier 2010

2009 – Cinéma


Je rejoins en partie un commentaire qui faisait suite à un billet de la RDL de Pierre Assouline d’il y a six mois : Pendant des années, j’ai lu Les Echos par nécessité professionnelle… ce n’était pas vraiment ma tasse de thé. Mais j’avais une compensation : les articles de sa rubrique culturelle, souvent sous la plume, si je ne me trompe, d’Annie Coppermann. Cette dernière ne semble pas, depuis, avoir cessé de fréquenter les salles obscures. C’est naturellement le site lesechos.fr qui l’accueille : depuis avril dernier, elle nous livre chaque semaine ses coups de cœur et ses coups de griffes sur les films qui sortent en salle. Il s’agit de textes sobres, s’appuyant sur une bonne connaissance du domaine, qui n’excluent pas la sensibilité, informatifs pour le lecteur et faisant le partage entre une critique si possible objective et le point de vue personnel.

Comme pour les revues précédentes, ce sont ici des condensés, souvent à base d’extraits rattachés les uns aux autres. Pour en avoir un cœur plus net, aller sur :
http://blogs.lesechos.fr/article.php?id_article=78
Je ne les ai pas comptés mais cela doit faire une bonne centaine de films analysés, sans compter à chaque fois le rappel en fin de billet de ceux sortis depuis déjà plusieurs semaines (ou d’autres plus anciens qui refont surface) et qu’il serait préférable de ne pas manquer.

24 avril 2009 (premier billet à la création du blog)
Les films à voir ou à éviter cette semaine…On ne voit qu’elle, partout. Avec ses grands yeux noirs et sa cigarette vissée au coin de sa jolie bouche, sauf dans les couloirs du métro, où fumer est interdit aussi sur les murs : Jacques Tati doit en rire silencieusement dans sa tombe… Elle ? Audrey Tautou, devenue vraie comédienne au fil d’une carrière qui aurait pu plus mal tourner. Mais est-elle la vraie Coco avant Chanel, comme veut nous le faire croire le titre et dont la sortie égale presque en matraquage celle, la semaine dernière, d’OSS 117 ? Certes, le scénario a été puisé dans le livre d’Edmonde Charles-Roux. Certes, Karl Lagerfeld a ouvert ses locaux de la rue Cambon… Mais si ce film sage, gentiment romantique et très académique, nous en donne pour notre argent, on ne parvient pas à s’y passionner.

Evidemment, si l’on compare avec l’autre film français de la semaine … Coco avant Coco est un pur chef-d’œuvre. Mais faut-il comparer ? Mieux vaut, oubliant votre chauvinisme, préférer le magnifique Still walking, du japonais Kore-Eda Hirokazu. Dans des images limpides, des cadrages que l’on devine très travaillés – on pense souvent à Ozu, mais un Ozu contemporain - menus incidents, regards, silences en disent bien plus que les rares dialogues … Tout est là, le poids de la vieillesse, les regrets, le temps qui passe et n’efface rien, les barrières qui, derrière les sourires, séparent les générations. Avec un mélange fluide de tendresse et de cruauté feutrée, non exempt d’éclairs d’humour, Kore-Eda nous retourne le cœur. Un très beau film.


3 juillet 2009 – Woodyssime !
L’été du cinéma démarre en beauté. Trois films à voir cette semaine (sur six nouveaux, un ratio que l’on aimerait retrouver tout au long de l’année !). Voilà qui peut consoler tous ceux qui sont encore dans la fournaise des villes…

Celui qu’il ne faut pas manquer, c’est Whatever works. Tourné vite fait bien fait sur un scénario vieux de trente ans, il campe un vieux misanthrope juif, hypocondriaque (c’est Larry David) qui abreuve ses amis de Greenwich Village et ses auditeurs (nous, il nous parle d’ailleurs les yeux dans les yeux !) de jugements à l’emporte-pièce sur la vie qui n’est que misère et les humains qui ne sont que des veaux… Ex génie de la physique, ex suicidé sauvé par le hasard, il bute sur une SDF mineure et ravissante (Evan Rachel Wood, la nouvelle Scarlett Johansson ?) qui s’accroche à ses basques et à son appartement de célibataire. Elle s’appelle Melody, elle vient du Sud, elle est assez sotte et totalement ignare. Que croyez-vous qu’il arrive alors ?

Vous avez trouvé ? Tout peut arriver, et tout arrive. Whatever works, en somme, c’est la nouvelle philosophie du vieux bougon : tout ce qui marche est bon à prendre, au diable la morale et la raison. Séduisant, non, comme devise pour nos vacances !
Avis d'Annie Coppermann : A 73 ans, Woody Allen nous donne une leçon de jeunesse. Et, mais oui, d’optimisme. Drôle, tendre, lucide, savoureux, malgré quelques chutes de tension bien pardonnables, Whatever works, son 41ème film, sauf erreur, est une délicieuse… comédie pour une nuit d’été.
Le deuxième film est à voir en famille. Toujours en animation, mais cette fois en relief (avec des lunettes spéciales, à rendre à la sortie), L’Âge de glace 3 est à vrai dire, on s’y attendait, le moins réussi de la série. C’est une histoire de… désir d’enfant. Le début est drôle, la suite un peu longuette. Heureusement, le combat de l’écureuil avec son gland géant vient, à point nommé, relancer le rythme.
Avis d'Annie Coppermann : Les enfants (de tous âges, ici les petits ne risquent pas d’avoir peur) devraient aimer, et les parents ne pas trouver le temps trop long.
Le troisième, Le Hérisson, n’est autre que l’adaptation d’un véritable phénomène de l’édition qui a tenu la tête des ventes pendant près de deux ans (1,2 millions d’exemplaires) et traduit dans 40 langues. Ses atouts : d’abord une vraie fidélité à l’esprit du livre, la rencontre d’une gamine de 12 ans surdouée et suicidaire et de la concierge, solitaire et revêche qui cache en fait, dans le fond de sa loge, une pièce secrète : une immense bibliothèque où tous les soirs, ses poubelles sorties, elle va se réfugier. Ensuite, l’habile transposition d’une construction a priori trop littéraire pour être adaptée : le journal de bord de la gamine dans le livre devient ici film vidéo. Et surtout, deux formidables interprètes, Garance Le Guillermic, sidérante en petite binoclarde au QI vertigineux, et Josiane Balasko, étonnante en épouvantail, toutes griffes dehors, qui peu à peu s’humanise (sans compter l’élégant Togo Igawa, Anne Brochet, ou encore Ariane Ascaride).
Avis d'Annie Coppermann : A la fois modeste et sensible, sincère et habile, ce Hérisson a l’élégance… du cœur. Un coup d’essai attachant.

23 octobre 2009 – Les racines du mal ?
Si vous n’aviez pas vu venir les vacances de la Toussaint, les affiches de cinéma vous remettront vite à l’heure. Pas moins de trois films d’animation, et l’arrivée, en live, du lonesome cow-boy Lucky Luke, qui tire sûrement plus vite que son ombre : l’heure est aux sorties familiales.

Mais rassurez-vous, vous n’êtes pas oubliés pour autant : c’est aussi cette semaine que sort, très attendu, le film qui a obtenu la palme d’or du dernier Festival de Cannes : Le Ruban blanc, de Michael Haneke. Dixième film de l’Autrichien connu pour sa fascination horrifiée de la violence et l’hermétisme déstabilisant de ses scénarios, ce Ruban blanc est, incontestablement, un film hors normes. Très beau, très noir, très dérangeant. Aussi difficile à aimer qu’à oublier. Bref : à voir !

Nous sommes en 1913 à la veille de la Grande Guerre, dans un petit village allemand bien loin des bruits du monde. C’est en son cœur que le feu couve. Tout commence par la mauvaise chute du médecin. Peu après, l’ouvrière de la scierie voit le plancher s’effondrer sous ses pieds et meurt sur le coup, prélude à l’étrange saccage d’un champ de choux. Une grange brûle, le fils du baron est méchamment battu, celui de la sage femme sauvagement torturé… A chaque fois, des enfants apparaissent, toujours blonds, lisses, énigmatiques… La violence régit aussi les relations entre ces enfants, beaux et graves, et leurs parents. Le pasteur, après avoir administré derrière une porte fermée quelques sévères coups de bâton à ses aînés tentés par la désobéissance, accroche à leur bras ce ruban blanc qui doit leur rappeler leur devoir de pureté et d’innocence…

Où donc Haneke veut-il en venir ? Recherche-t-il, dans l’intégrisme religieux, l’éducation répressive, les prémisses d’un fascisme qui se déchaînera vingt ans plus tard ? Ses enfants blonds sont-ils les futurs nazis ? Il ne le dément pas, tout en affirmant qu’il ne faut pas voir, ici, une parabole de la seule Allemagne. Pour lui, il s’agit plutôt de décortiquer les racines de n’importe quel terrorisme, politique, ou religieux. Dont acte. Même si l’on sort plus déconcerté que convaincu…
Avis d'Annie Coppermann : Magnifique dans la forme, déroutant sur le fond, intrigant, oppressant : un film rude mais éblouissant, qui rappelle que le grand cinéma n’est pas forcément confortable, et mérite amplement sa palme d’or.
Encore peu mobile (à cette époque, la rédactrice du blog se remet d’une opération – relativement immobilisée et loin de Paris, elle se cantonne à visionner des DVD), je n’ai pas vu Sin nombre, premier film de Cary Fukunaga, un jeune Américain d’origine suédo-nippone… Primé à Sundance et à Deauville (*), ce train movie alliant violence et amour a, dans l’ensemble, suscité les louanges de mes confrères… C’est tout ce que je peux vous en dire… J’ai, en revanche, pu visionner sur DVD deux petits films marginaux, certes, mais qui, chacun, ont un réel intérêt.
(*) Le festival de Sundance (dans l'Utah) en janvier, et le festival du film américain de Deauville en septembre, ont progresssivement focalisé l'attention sur des films indépendants des circuits hollywoodiens.
Le premier, Rachel, est dû à la franco-israélienne Simone Bitton. Elle a enquêté sur la mort, au sud de la bande de Gaza, d’une jeune pacifiste américaine, venue en Palestine pour tenter d’aider la population palestinienne. Elle vivait chez l’habitant et tentait, quand s’approchaient chars et bulldozers israéliens, de dissuader les soldats qui les conduisaient d’aller plus loin. Elle a été, ce jour-là, heurtée, poussée, renversée, engloutie, on ne saura jamais, par un bulldozer devant lequel elle s’était couchée pour l’empêcher d’aller détruire la maison de son hôte… L’enquête est minutieuse, la reconstitution émouvante, parfois insoutenable, les conclusions… aussi. Tout comme ce que l’on découvre, en même temps, sur le quotidien des habitants de cette terre dévastée aux frontières de l’Egypte.
Avis d'Annie Coppermann : Sur la mort, en 2003, d’une jeune pacifiste américaine à Gaza, une enquête minutieuse et troublante. Un nouveau pavé dans la mare désespérément sans fond du conflit palestino-israélien.
L’autre petit film, Winnipeg mon amour, se présente, lui aussi, comme un documentaire, mais ne l’est qu’à moitié. Signé Guy Maddin, il y est question de Winnipeg, la ville natale du cinéaste. Une ville qu’il aime et déteste à la fois et dont il raconte l’histoire à travers l’évocation d’évènements bien réels mais aussi le souvenir, sans doute fantasmé, de séances de spiritisme de notables, et de cadavres de chevaux, tués dans l’incendie de l’hippodrome, que l’on allait voir émerger de la neige…

Avis d'Annie Coppermann : Entre documentaire et rêverie surréaliste, une promenade nostalgique, un peu hypnotique, entre absurde et poésie, et non sans charme. A réserver aux curieux… et aux cinéphiles soucieux d’actualité : l’œuvre de Guy Maddin fait actuellement l’objet d’une rétrospective au Centre Pompidou (jusqu’au 7 novembre) dans le cadre du Festival d’automne.

C’est pourtant une autre rétrospective que je vous recommande de ne manquer en aucun cas : celle que la Cinémathèque consacre à Federico Fellini. Elle offre, jusqu’au 26 décembre, la possibilité de revoir la totalité de l’œuvre irremplaçable du Maestro, disparu en 1993, Cependant que La dolce vita, qui aura cinquante ans bientôt et réunit Marcello Mastroianni, Anita Ekberg et Anouk Aimée, ressort dans les salles. Incontournable !

S’il vous reste un peu de temps, vous pourrez retrouver Sergio Leone, avec la re-sortie, en version anglaise intégrale restaurée, de Il était une fois la révolution.

Ce n’est pas tout. Impossible de ne pas vous signaler, enfin, la re-sortie en salle d’un de mes films cultes, l’un de ceux qui m’ont fait tourner, jadis, la tête : Le Diable au corps, de Claude Autant-Lara, d’après le roman de Raymond Radiguet. Vous l’aurez deviné : j’étais amoureuse de Gérard Philipe. Vous ne connaissez pas ? Courez-y !



6 novembre 2009 – Le cinéma a le sourire

Ce sont les fantasmes qui mènent la danse dans le film le plus incontournable du jour : Les Herbes folles, d’Alain Resnais. Le plus jeune de nos cinéastes, 87 ans, y cède avec une gourmandise débridée. Brisant toutes les conventions, comme les herbes folles du titre, brisent l’asphalte de nos rues pour pousser, inconvenantes, en pleine ville…

Tout commence par un vol à l’arraché du sac d’une acheteuse de chaussures. Et, pendant un long moment, pas grand-chose de la dame. Un homme accapare en effet l’image : il rentre chez lui, en banlieue, quand il trouve, dans le parking où il avait garé sa voiture, le portefeuille de celle-ci… Bon, je ne vais pas continuer à ce rythme. Resnais le fait, bien mieux que moi, sautant du coq à l’âne, multipliant les bizarreries. Sachez juste qu’ils se rencontreront enfin à la sortie d’un cinéma. Et qu’ils finiront par… Irracontable, sans queue ni tête, préservant un mystère jamais écorné.

A Cannes, le jury a rendu les armes. En donnant au réalisateur un prix exceptionnel pour ce film qui, d’une certaine façon, renvoie à toute son œuvre tout en témoignant d’une jeunesse rafraîchissante.

Avis d'Annie Coppermann : Inclassable, potache, surréaliste, somptueusement interprété, un film qui tranche avec le reste de la production. Alain Resnais le maître joue les trublions adolescents avec une malice que l’on ne peut qu’applaudir. Mais attention : si vous n’avez jamais été tenté de manger les croquettes de votre chat (allez-y, vous comprendrez !) il se peut que la magie, sur vous, n’opère pas tout à fait. Je l’avoue, ce fut mon cas… Ce qui ne m’a pas empêché de sortir avec le sourire !
Le sourire, il ne m’a pas souvent quittée en regardant Away we go, le nouveau film, lui aussi inattendu, de Sam Mendès. Interprété par des inconnus pas particulièrement glamorous et d’autant plus sympathiques et crédibles, L’arrivée d’un bébé va changer leur vie de grands enfants irresponsables. Lancés sur les routes à la recherche d’amis sûrs et d’exemples d’équilibre familial, ils iront de déconvenues en déconvenues. Mais le spectateur, lui, se régalera.

Avis d'Annie Coppermann : Un film américain totalement en marge des normes, sans vedettes, sans vraie histoire, tout en malice gentiment vacharde, et le portrait d’un couple formidablement attachant auquel on s’identifie volontiers : un petit bonheur !

Jamais deux sans trois : avec Le Concert, on sourit, on rit même et, à la fin, on pleure, de pure émotion. D’accord, Radu Mihaileanu, réalisateur d’origine roumaine dont j’avais autant aimé, naguère, Vas, vis et deviens que Train de vie, ne fait pas, ici, dans la dentelle. Mais, sur une histoire, encore, d’imposture, sur le thème, encore, de l’antisémitisme et de l’intolérance, il ne peut, malgré quelques scories, laisser insensible le spectateur de bonne foi.

L’histoire est inspirée d’un fait réel : un grand chef d’orchestre soviétique, naguère célèbre dans le monde entier, ne se console pas d’avoir été, brutalement, mis au placard, il y a trente ans, pour avoir voulu protéger ses musiciens juifs. Devenu homme de ménage au Bolchoï, il rêve toujours de ce concerto sublime de Tchaïkovski où il avait, semble-t-il, atteint la quasi perfection avec ses musiciens et qu’un sbire du régime d’alors avait interrompu en pleine représentation, et pour toujours. Alors, quand une nuit il voit arriver sur le fax du Bolchoï une invitation pour le Châtelet, à Paris, il a une idée : interceptant l’invitation, il va l’honorer lui-même, en reconstituant son équipe pourtant éparpillée aux quatre coins de Moscou, et qui a le plus souvent totalement rompu avec la musique. Un pari insensé qui, pourtant, sera gagné…

Bien sûr, la première partie, satire farcesque du régime communiste, joue sans complexes la caricature. Lourde, mais, confessons-le, parfois très drôle. Bien sûr, l’arrivée, si improbable, de toute la bande, comparses tziganes en prime, est totalement invraisemblable. Bien sûr, l’intrigue sentimentale est un peu tortueuse (mais a le mérite de nous laisser nous fourvoyer jusqu’à la fin). Mais n’écoutez pas les pisse-vinaigres qui font la fine bouche : la dernière demi-heure rachète tout !

Avis d'Annie Coppermann : Tourné, en partie, sur la place Rouge et dans la salle du Châtelet, réunissant une brochette de comédiens russes remarquables et, auprès de Miou-Miou, l’exceptionnelle, décidément, Mélanie Laurent, ce film à la fois populaire, dénonciateur et romantique dans le meilleur sens du terme fait chaud au cœur. Et, en prime, du bien aux oreilles, grâce au sublime concerto de Tchaïkovski dont l’exécution filmée au plus près du visage de la soliste soulève, au dernier tiers du film, une émotion dont on n’a jamais honte. Ne vous en privez pas.

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