vendredi 1 janvier 2010

2009 – Années 1900


Une de nos connaissances qui aime et sait écrire et peindre, et à qui théâtre et cinéma sont loin d’être étrangers, a entre autres passions de rassembler ce que l’on peut savoir sur telle ou telle personne remarquable qu’elle s‘est choisie. Il peut en sortir un ouvrage ou une pièce. C’est Coco Chanel qui requiert pour le moment une grande part de cette énergie. Elle a un jour laissé filtrer : "Je suis raide dingue de Clemenceau."

C’est à la même époque que mon œil a été attiré par la présentation qui ouvre le blog
Il y a un siècle. Son principe, en effet, est que nous sommes il y a 100 ans et qu’un fonctionnaire, proche de Georges Clemenceau et bien placé du ministère de l'Intérieur raconte son quotidien personnel et professionnel – il fait ainsi revivre au lecteur la Belle Époque… comme si on y était. Et ceci, pratiquement jour pour jour. La lecture m’en a plu et me semblait fournir par ailleurs quelques pistes pour notre détective et amie.

Le blog ayant débuté voici plus de deux ans, ce sont 500 épisodes ou plus que l’on peut ainsi parcourir. Clemenceau ? Les affaires gouvernementales ? Celles du ministère de l’Intérieur ?... Finalement pas tant que ça – mais plutôt un merveilleux prétexte pour s’imprégner de la vie de l’époque.

Quelques aperçus - reconstruits à partir d’extraits – se référer au blog pour disposer de l’intégralité :
http://ilyaunsiecle.blog.lemonde.fr/

9 juillet 1908 : La conscience de Clemenceau

En fin de journée, Georges Clemenceau me fait venir dans son bureau. "Vous pouvez vous libérer ce soir ? Je dîne avec une rude femme et je ne veux pas que nous soyons vus, seuls, elle et moi. J’apprécierais donc que vous soyez présent…" Je retrouve mon patron vers 8 heures au Bouillon Chartier du boulevard du Montparnasse. Ce restaurant a été récemment rénové dans le style Art nouveau. Nous attendons l’inconnue dont il ne m’a pas dévoilé le nom.

Je vois une femme d’une cinquantaine d’années, avec beaucoup d’allure, qui se dirige d’un pas décidé vers nous. C’est Séverine, l’écrivain journaliste. Elle a couvert des évènements marquants de ces derniers temps. Je me rappelle ses articles sur l’Affaire Dreyfus ou ceux décrivant les conséquences de plusieurs catastrophes minières. Clemenceau l’interroge sur ses occupations actuelles. Elle lui répond avec un peu d’insolence et beaucoup d’ironie : "Mais, Monsieur le Président, vos rapports de police ne vous disent pas tout ? Je continue à fréquenter les anarchistes que je défends à chaque procès ; je m’engage pour le vote des femmes ; les militants pour la paix m’ont demandé de les rejoindre… Comme vous le voyez, je n’ai pas le temps de m’ennuyer. Mais, pourquoi avez-vous souhaité me rencontrer ?"
- "Vous êtes pour moi comme une …conscience. Mes fonctions m’obligent à être le premier flic de France. J’ai la nostalgie de ces moments où nous étions dans le même camp pour défendre Dreyfus, où nous étions au bord de la légalité pour défendre un innocent."
- "C’est vrai que vous semblez avoir tout oublié de l’homme de gauche intransigeant que vous étiez. Je suis scandalisée par la façon dont votre gouvernement se comporte dans la grève des carriers. Envoyer la troupe ! Que vous ne fassiez pas aboutir des textes plus protecteurs pour les mineurs. Que les radicaux s’opposent au vote des femmes. Tout cela me pousse progressivement dans les bras de vos opposants les plus durs, Monsieur le Président du Conseil."

Georges Clemenceau écoute silencieusement. La dureté des reproches l’atteint. Ce soir, c’est un homme tout simple qui accepte délibérément d’écouter le jugement que l’on porte sur ses actes. Séverine arrêt d’un coup sa vindicte. Sa voix s’adoucit : "Je ne voulais pas vous peiner. C’est courageux d’accepter d’entendre une vieille dure à cuire comme moi !" La conversation devient alors plus légère. Je regarde, ébahi, ce tableau improbable. Deux caractères entiers, deux blocs d’idéaux. Les deux convives sont fascinés l’un par l’autre. Ma présence semble leur peser. Avant le dessert, je trouve un prétexte pour m’éclipser. Je ne sais pas comment a fini le repas…

29 juin 1909 – Picasso apprend le dessin à ma fille

"Laisse ton crayon courir sur la feuille. Garde la main souple. Repense bien à ce que tu veux dessiner et représente-le vu du dessus, du dessous et d’à côté." C’était il y a deux mois : ma fille Pauline était ravie d’écouter Pablo Picasso lui montrer comment faire un beau dessin. L’artiste, croisé plusieurs fois chez les marchands de tableaux Kahnweiler ou Vollard, est devenu un ami de la famille. Nous le rejoignons parfois jusqu’à son atelier ; plus fréquemment, il vient prendre un verre à la maison.

"Il revient quand Tonton Picasso ?" Je rappelle à ma petite que celui-ci est rentré pour plusieurs mois dans son Espagne natale. "Tu vois, là-bas, il va nous faire des tableaux de montagnes avec du marron, du jaune et beaucoup de soleil." Ma fille prend une feuille : "Je veux faire comme Tonton Picasso. Des carrés, quelques ronds et beaucoup de couleurs." Pauline se concentre. Un quart d’heure après, le dessin s’achève. En me demandant de poster son chef-d’œuvre pour notre ami en Espagne, elle me signale qu’elle se met maintenant à faire des découpages. "Il devrait faire comme moi, Tonton Picasso : des découpages… ça va encore plus vite que de faire un dessin et c’est rigolo."

Avec attendrissement, je regarde ma cadette et repense à cette phrase de notre ami peintre : "Dans chaque enfant, il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant."

22 octobre 1909 – T comme Triple Entente

La France a mis fin à son isolement, solidement, durablement. Elle avait été mise à genoux pour la puissante Prusse lors de la guerre en 1871 et était sortie de ce conflit diminuée d’un point de vue territorial et coupée du reste de l’Europe

Triple Entente. Mot magique qui protège la France contre tout mauvais sort ? Le 17 août 1892, notre pays signe un premier accord militaire secret avec la Russie du tsar qui aboutit à une alliance plus complète en fin d’année suivante. Le 8 avril 1904, notre ennemi héréditaire anglais devient notre ami et nous l’embrassons pendant les longues fêtes liées à l’Entente cordiale. Parallèlement, la Russie et le Royaume-Uni signent un traité le 31 août 1907 aboutissant à délimiter leur influence respective en Perse et en Afghanistan.

Par ce dernier document naît donc une Triple Entente qui ne demande qu’à se renforcer. Deux pays avec une armée puissante et une démographie dynamique épaulent dorénavant notre République et nous aident à faire face à la puissante Allemagne, elle-même engagée dans une triple Alliance avec l’Autriche et l’Italie.

Avantage : les petites humiliations presque quotidiennes que devaient subir la France de la part de l’Allemagne de Bismarck dans les années 1880, ont disparu. Notre pays, nos frontières et nos marges de manœuvre diplomatiques sont maintenant respectées par un Kaiser qui se méfie, de surcroît, d’une Entente qui l’oblige à séparer ses forces entre l’est russe et l’ouest français.

Inconvénient : la course aux armements prend de l’ampleur. Les dépenses en faveur de la marine et de l’équipement des troupes terrestres n’ont jamais été aussi importantes dans les grands pays d’Europe. On astique canons et fusils, on augmente le nombre de régiments mobilisables en préparant des plans d’invasion ou de défense.

5 novembre 1909 – Proust joue une musique qui n’existe pas

Les notes s’enchaînent comme dans un rêve. L’imagination suit les mains du pianiste et chaque phrase musicale donne naissance à une nouvelle sensation. Ah, cette sonate de Saint-Saëns ! Après l’avoir découverte dans les cahiers que Marcel Proust me demande de relire, j’ai tenté de la retrouver dans toute la discographie disponible, j’ai épluché les programmes des concerts récents, interrogé des amis. Recherche infructueuse, résultats frustrants. Je retrouve Proust pour une partie de dominos dans un bouillon parisien : "Cette fameuse sonate que vous citez, cette petite phrase musicale qui symbolise l’amour entre Swann et Odette, où puis-je la retrouver ? Vous parlez de Saint-Saëns ?"

Marcel réfléchit un instant et me glisse : "Cela pourrait être aussi des quatuors de Beethoven, une Ballade de Fauré… Dans le trouble de votre esprit, vous ne savez ce qui provient de la remontée de souvenirs, d’un travail de mémoire car vous constatez que la musique elle-même vient ajouter des sensations jusque-là inconnues, nouvelles et émouvantes. Je n’aurais pas dû citer dans mon texte le nom de Saint-Saëns. J’écris en fait sur une musique qui n’existe que dans mon roman, des notes que seuls mes lecteurs peuvent entendre s’ils se laissent emporter par mon texte. On rêve tous d’une musique merveilleuse et jamais entendue, d’un choc musical et esthétique qui fait presque basculer notre vie dans un avant et un après. C’est cette émotion que je souhaite faire partager, que je voulais décrire tout en préservant son côté insaisissable."

Avouons-le – je me suis volontiers laissé entrainé à parcourir ces « notes » prises au jour par celui que l’on surnommait Olivier le Tigre (dont on découvre même le CV qui explique la multiplicité de ses contacts et de ses intérêts : né en 1868, fils d’instituteurs, lycée Condorcet, Normale Sup, Science Po, Conseil d’État, et la suite… marié et père de 3 enfants). Beaucoup était beaucoup mais pas encore trop – avec, peut-être une envie de croire au Père Noël. Jusqu’au moment où le responsable du blog nous apprit que la suite (l’année 1910) faisait l’objet d’un livre qu’il avait entièrement rédigé et qu’il serait astucieux de mettre dans la hotte du susdit.

Par la même occasion, se dévoilait son nom
: Olivier Maniette, la quarantaine, assurant des responsabilités dans une grande administration publique… Au vrai, il ne s’en était pas tellement caché puisqu’il avait répondu à ce sujet au début de 2008 sur Blogonautes. Commentaire beaucoup plus récent, sur le site d’Amazon, par quelqu’un qui semble assez bien le connaître :
"Olivier Maniette n'est pas plus écrivain qu'il n'est historien. C'est un passionné d'Histoire, qui a accumulé une somme de savoir sur la troisième république. Il dresse ainsi un panorama extrêmement documenté sur notre histoire récente, et porte un regard amusé sur les mœurs politiques."
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Illustration : Portrait d'Adèle Bloch-Bauer par Gustav Klimt (1907)
Sur Coco Chanel : voir le blog http://ancavisdei.blogspot.com/
Sur Séverine : voir le blog http://seine-vistule.blogspot.com/ (juillet 2009)

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