mardi 24 mai 2011

Femme de lettres insoumise

Muzeum Literatury – Plaquette de l’exposition sur Gabriela Zapolska

Ce billet fait partie d’une série. Un album a été édité pour l’exposition consacrée à Gabriela Zapolska, en ce printemps 2011 à Varsovie. L’intention est d’en donner une idée. Il s’agit de synthèses des articles qu’on y trouve – essentiellement à partir de la version en français. On pourra déceler quelques maladresses ou des oublis : je ne saurais trop engager le lecteur à se référer aux textes originaux.

Le premier article de fond s’intitule : Gabriela Zapolska, pisarka zbuntowana, et se prolonge par : Biografia niepokorna. En français : Gabriela Zapolska, la femme de lettres insoumise – une biographie en révolte. De quoi stimuler un esprit quelque peu curieux, à partit du moment où on le rapproche de celui de l’exposition : Gabriela Zapolska – Zbuntowany talent dont on se souvient qu’il a été rendu par : Un talent en révolte.

Professeur à l’Université de Varsovie, Danuta Knysz-Tomaszewska a dirigé pendant plusieurs années le Centre de Civilisation polonaise de la Sorbonne, et elle est à l’origine de la parution toute fraîche d’un ouvrage de 400 pages en français sur Zapolska où l’on trouve, en présentation bilingue, la première publication d’une traduction en français de Moralność pani Dulskiej, suivie d’une sélection de ses chroniques parisiennes, et complétée par des développements critiques sur les sujets ainsi abordés.

Après avoir souligné les traits marquants du parcours de vie de Gabriela Zapolska, l’article nous livre quelques approfondissements sur les thèmes suivants : en défense des exclus, du côté d’Émile Zola et du naturalisme, les transpositions littéraires des fascinations artistiques, vers le théâtre naturaliste.

La biographie de Zapolska qui y est esquissée la décrit effectivement en révolte par rapport à son milieu d’origine, toujours prête au combat devant l’hypocrisie régnant dans la petite bourgeoisie, ou face à tous les défis rencontrés sur son chemin. Cherchant un accomplissement dans le travail de comédienne, ainsi que dans l’écriture en dépit des attaques de la critique, dans l’amour aussi, on la découvre individualiste, voire égocentrique. Et particulièrement héroïque. De santé souvent déficiente et ayant elle-même connu la misère, elle est en même temps sensible à la misère humaine, notamment au malheur des femmes, et ne se prive pas de l’exprimer.

La défense des exclus qu’elle prend avec passion, concerne principalement la condition féminine sous ses multiples aspects. Dans ses romans surtout, elle aborde des sujets qui gardent toujours leur actualité, un bon siècle plus tard – éducation sexuelle et préparation au mariage, authenticité dans les relations entre époux ou entre parents et enfants. Et tout autant des sujets tabous – dans des romans alors considérés comme menaçant l’ordre social : prostitution, maladies vénériennes…

A cette occasion, la vie de ses héroïnes peut passer par des phases successives, ce qui entrouvre une perspective sur quelques maladies du siècle (amour libre, décadence, attrait de la parapsychologie, dépression…), comme sur des courants idéologiques (ex. : socialisme) ou artistiques (ex. : peinture) qui avaient alors cours.

On a fait dès ses débuts à Zapolska une réputation de Zola polonais et de flirter (de façon éhontée) avec le naturalisme. A prendre du recul, le jugement s’avère beaucoup plus nuancé. D’une part, il est difficile de l’enfermer dans un –isme quelconque, dans le naturalisme en particulier. D’autre part, son œuvre déborde rapidement au-delà de l’objectivité scientiste de l’observateur, telle que la postulait Émile Zola. Elle y fait preuve de beaucoup plus d’empathie et de capacité de partager la souffrance d’autrui. L’auteure de l’article a cette formule : … elle n’avait pas le don de Zola de montrer des foules et de brosser de grandes visions d’une civilisation industrielle. Sa caméra à elle se concentrait sur des plans rapprochés, sur quelques personnages saisis dans leurs destins sociaux et biologiques …

En France, sa fréquentation des peintres impressionnistes et nabis l’a – à la différence d’un Zola qui prenait ses distances – rapprochée d’un art plus idéaliste. Enfin, son tempérament et sa participation active dans la vie de tous les jours l’empêchèrent de se concentrer dans une seule direction.

Sa période parisienne et bretonne (1889-95) a justement été celle où se diversifie la palette de ses intérêts et de ses talents. Car si elle est venue pour monter sur scène, Zapolska ne cesse pas pour autant d’écrire des romans et, l’éloignement aidant, des lettres et des chroniques journalistiques. Période aussi, d’une découverte de la peinture et des peintres, qui n’est pas sans influence sur son écriture même. D’où ce passage convaincant consacré dans l’album aux transpositions littéraires des fascinations artistiques de Zapolska.

En témoignent ses romans de cette époque, ainsi que ce qu’elle a rédigé en Bretagne pour des journaux varsoviens, où sa plume rend, tour à tour, les ambiances et les couleurs d’un pinceau impressionniste, postimpressionniste ou idéiste. Plus tard aussi, l’art japonais auquel elle était devenue sensible lors de son séjour parisien, deviendra une de ses sources d’inspiration.

Quelques années après son retour au pays, vient une décennie où ont été écrites ses meilleures pièces. Peut-on les considérer comme illustrant une transition vers le théâtre naturaliste ? Sans doute, mais en nuançant le commentaire. On a pu dire que Zapolska avait créé une variante polonaise du drame naturaliste, notamment dérivée d’Ibsen et se déroulant autour de la lampe de la maison.

Une lecture contemporaine ne s’en tient plus aux qualificatifs initiaux de comédies amères se résumant à une attaque intransigeante contre l’hypocrisie bourgeoise. Ainsi, Żabusia ou Moralność, dont l’action se déroule dans un cercle familial refermé sur lui-même, suintant l’un le mensonge, l’autre la crise qui le ronge, renvoient à des problèmes encore aujourd’hui actuels, autour, par exemple, de la condition et de la place de la femme, de l’instrumentalisation de l’homme par l’homme ; ou de l’aliénation au sein de la famille.

L’album est richement illustré (on y relève près de 90 portraits et tableaux, photos de personnes ou d’objets, affiches ou dessins…). En pleine page, certaines illustrations ont, en légende, un court extrait, de la plume de Gabriela Zapolska. Voici ce que l’on trouve, inséré dans le présent article :

… c’est ici que j’ai appris à sentir, à pense, à regarder le monde, l’art et l’évolution sociale, à comprendre le but et le sens de l’existence – en un mot, je suis devenue un être humain ! (Lettre à Stefan Laurysiewicz, Paris 1894).

Ma vie s’est brisée en mille morceaux, s’est brisée terriblement et je dois vous avouer, les larmes aux yeux… que je suis plus que malheureuse ! Je n’ai rien, un peu de crème, de beauté, et ce que vous appelez le talent… (Lettre à Adam Wiślicki, Paris 1890).

… je tente de puiser dans m vie tout ce que j’écris. Chaque auteur a son « genre », pourquoi l n’en serait pas de même avec moi. Je n’imite personne, je ne copie personne. Je suis moi. (Entretien avec Ignacy Nikorowicz)

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