jeudi 26 mai 2011

Dans le jardin des arts

Muzeum Literatury – Plaquette de l’exposition sur Gabriela Zapolska

Ce billet fait partie d’une série. Un album a été édité pour l’exposition consacrée à Gabriela Zapolska, en ce printemps 2011 à Varsovie. L’intention est d’en donner une idée. Il s’agit de synthèses des articles qu’on y trouve – essentiellement à partir de la version en français. On pourra déceler quelques maladresses ou des oublis : je ne saurais trop engager le lecteur à se référer aux textes originaux.

La Sauvage
Le titre de l’article de Grażyna Borkowska suscite une interrogation autour du qualificatif de sauvage dont elle baptise Zapolska. Sa conclusion explicite cette interrogation et la referme – ne serait-ce que pour nous ouvrir d’autres portes.

L’auteure est professeur à l’Institut de recherche en littérature de l’Académie polonaise des sciences (IBL / PAN), historienne de la littérature, principalement à par de la seconde moitié du 19e siècle, et s’est particulièrement intéressée à la critique féministe.

Dans son entier, le titre se lit La Sauvage : Zapolska dans le jardin des arts / Dzika, czyli Zapolska w ogrodzie stuk. L’emploi de czyli en polonais nous porterait à préciser que, dans le jardin des arts, Zapolska se comporterait comme une sauvage.

Comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, gênée aux entournures ? Ce n’est pas trop le style de Zapolska. Risquant d’y faire de la casse ? Là, ce n’est pas exclu, d’autant que – même s’il ne faut pas faire de confusion entre le qualificatif (dziki/a : sauvage) et le substantif (dzik : sanglier) – une proximité existe : le premier peut à la limite, désigner quelqu’un d’asocial et le second, celui qui est mal civilisé.

A cet égard, la conclusion de l’article nous sert de guide. Zapolska est une sauvage parce ce qu’elle ne s’attache pas – ni aux lieux * ni aux personnes. Combien de fois a-t-elle déménagé ! Combien épais aurait pu être son carnet d’adresses ! Se sentant étrangère, elle n’était pourtant pas tant autre que ça.

* Ceux qui auront la curiosité de retrouver la lettre citée, de 1898 à Ludwik Szczepański, dans laquelle elle décrit Cracovie, où elle se trouve, comme une prison ou comme une tombe, constateront qu’elle débute par cette même chanson d’Aristide BruantA Saint Lazare – qui lui a servi de leitmotiv dans la chronique parisienne consacrée à ce personnage, en février 1892 : C’est de la prison que je t’écris… Oh ! mon cher Hippolyte !

Grażyna Borkowska écrit aussi que Zapolska est une barbare et souligne qu’elle a surtout montré l’étroitesse des limites où chacun s’enfermait alors : La tradition nobiliaire ? Basée sur une notion de l’honneur parfois comprise à l’envers. L’esprit bourgeois ? Dominé par l’argent et par une vertu au sens le plus primaire du terme. L’attitude féminine ? S’interdisant de réclamer de l’amour et de la réciprocité, ou d’exprimer ses émotions.

Avec les talents dont Zapolska a fait preuve, je suis porté à croire qu’elle est arrivée trop tard pour se fondre parmi les positivistes – qui ne l’ont d’ailleurs pas épargnée. Mais aussi trop tôt. C’est dans cet esprit que j’ai apprécié cette opinion de Grażyna Borkowska : Elle a nettoyé la place avant l’arrivée des avant-gardes du 20e siècle.

Le jardin des arts
Sauvage, soit. Mais qu’en est-il du jardin des arts ? Entre titre et conclusion, la trame de l’article permet de suivre le parcours de Zapolska. La couleur avait été annoncée dès les premières lignes : … j’ai toujours l’impression irrépressible qu'on n'a pas encore trouvé la bonne clé pour entrer dans le labyrinthe "Zapolska". Moi-même je n’en n’ai pas. Zapolska fait figure d’artiste qui n’a pas été apprivoisée et qui résiste avec une égale efficacité à une admiration sans bornes qu’à un rejet catégorique.

Son itinéraire existentiel suscite l’admiration : un tel acharnement au travail, une curiosité pour explorer des voies inconnues, un courage frôlant la bravoure …

Sont évoqués son mariage malheureux, ses premiers pas sur les planches, son procès à propos de Une jupe pour drapeau. Puis son séjour de six ans à Paris **, la formation théâtrale qu’elle y suivit et le fait qu’elle y ait joué en français ; les connaissances qu’elle y fit dans le monde littéraire et surtout parmi les peintres ; sa décision de revenir en Pologne. Si le style adopté dans les romans qu’elle avait continué d’écrire en polonais font qu’il semble difficile de la classer (épigone des romantiques ou à l’école de Zola ?), elle traite de sujets qui ne sont jamais abordés dans la bonne société.

** L’auteure de l’article mentionne les sources dont elle s’est servie. Elles sont naturellement en polonais. Elle cite notamment Zbigniew Raszewski dont tout le monde reconnaît son savoir, son savoir-faire et son savoir exprimer considérables, et qui a passé quelques semaines à Paris en 1951 pour investiguer sur le parcours de Zapolska en matière théâtrale. Elle illustre par ailleurs l’attitude de Zapolska pendant la période qu’elle a passée en France (1889-95), grâce à une lettre de 1891. Formée au Conservatoire national de Théâtre de Varsovie (PWST), Elżbieta Koślacz-Virol (qui signe l’article suivant dans l’album de la présente exposition), a rédigé en français et soutenu à la Sorbonne en 2002 une thèse sur : Gabriela Zapolska – actrice polonaise de la fin du 19e siècle. Parisienne de longue date, elle a pu éplucher de multiples sources relatives au séjour de Zapolska en France (anecdote : un intéressant microfilm concernant Zapolska, s’était égaré entre Zambèze et Zoulou). On sait aussi que l’accès aux chroniques parisiennes de Zapolska pour des journaux varsoviens, et que sa correspondance, sont devenus des outils désormais maniables à partir de 1960 et 1970, lorsqu’elles ont été publiées – et que la période parisienne y totalise un millier de pages. Une lecture relativement extensive de ces différentes sources laisse découvrir que les préoccupations et l’attitude de Zapolska vis-à-vis de son environnement parisien ont significativement évolué au cours de son séjour.

Sont alors relatées ses dernières années sur scène – à Cracovie puis à Lvov : relayées par du journalisme, par la fondation d’une école dramatique puis d’une troupe théâtrale – sans oublier de sérieux ennuis récurrents de santé. Et les deux premières décennies du 20e siècle, celles qui lui restent à vivre : celle glorieuse, qui a vu publier et connaître un succès, comme dramaturge, qui ne s’est, depuis, pas démenti : La Morale de Mme Dulska, Skiz, Mlle Maliszewska, et Eux quatre ; celle misérable, pendant la guerre mondiale, qui se prolonge dans la région de Lvov, après même l’indépendance retrouvée de la Pologne.

Bilan
De nombreuses œuvres théâtrales, littéraires et journalistiques. Beaucoup de rôles interprétés sur scène et une réussite partielle à Paris. Le fait de porter les nouveautés artistiques parisienne à la connaissance du public polonais – mais en amateur si on en croit l’auteure de l’article *** – ainsi que l’impressionnante collection de tableaux et sculptures qu’elle ramenée de France en Pologne. Avec cela, un réel brio pour commenter l’actualité et pour le reportage, un rythme de travail exceptionnel lorsqu’il s’agissait d’écrire, en dépit d’un contexte matériel difficile, des ennuis de santé souvent graves et persistants, des épisodes sentimentaux éventuellement éprouvants.

*** Vu que les sources consultées datent d’une époque où l’aventure du Théâtre Libre était regardée avec quelque suspicion, d’autant que ceux qui y jouaient étaient surtout des amateurs, on peut se demander si cette opinion n’a pas quelque peu déteint sur cette partie de l’article, où il vient justement d’être question du travail de Zapolska sous la direction d’Antoine et de la façon dont elle sensibilise ses lecteurs varsoviens aux novations scéniques et artistiques qu’elle découvre.

Trois phrases qui résument l’appréciation portée : Son opiniâtreté sans gêne pour atteindre ses buts. Son courage provocant de dire ce qu’elle voulait et comme elle le voulait, sans attacher de l’importance aux opinions des autres. Sa résistance à la critique, même quand elle était injuste, excessive ou brutale.

Bémol
Ni admiration sans borne, ni rejet catégorique : l’auteure de l’article estime que quand Zapolska défend une misérable journalière contre une riche bourgeoise, c’est plus par un esprit de contradiction que par un élan du cœur. C’est un trait distinctif de son art : une égale distante des bourreaux et des victimes. Croyant surtout à la primauté de l’existence sur les idées, elle n’en a jamais servi aucune, considérant que toutes les idées sont des tentatives très douteuses de rationaliser nos manques et désirs inavoués.

L’album est richement illustré (on y relève près de 90 portraits et tableaux, photos de personnes ou d’objets, affiches ou dessins…). En pleine page, certaines illustrations ont, en légende, un court extrait, de la plume de Gabriela Zapolska. Voici ce que l’on trouve, inséré dans le présent article :

Ô, instruments criminels ! Tortures et hontes de notre siècle ! Grand Dieu, dames émancipées ! Luttez pour libérer la femme des corsets et des baleines ! Libéreez-la au plus vite ! (Au royaume des costumes).

Nous avons une perdrix apprivoisée. Elle court dans les chambres, tire sur les robes et dort aussi avec mon bouledogue sur la même paillasse. Ce sont nos petites choses campagnardes dont nous faisons notre vie, souvent plus agréable et meilleure que le vacarme et l’agitation de la grande ville. (Lettre à Bronisława Rychter-Janowska)

Arrange-toi pour être ici le 1er mai. Dès que tu te seras reposé, nous partirons, immédiatement à Nice et à Monte-Carlo. Je m’en réjouis follement et cela m’adoucit le déplaisir du séjour actuel. Je ne cache pas que le Lido me répugne maintenant et que j‘en ai été particulièrement importunée. (Lettre à Stanisław Janowski)


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