vendredi 1 juin 2012

Saint Empire germanique du futur


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Till, mon sourcier en informations de tout genre, ayant remarqué que j’avais mordu à l’hameçon Montesquieu + Allemagne (voir mes billets des 30 et 31 mai), s’est empressé de m’inonder sur des thèmes assez proches. J’ai retenu deux spécimens, signalés en leur temps dans Courrier International (CI) : l’un datant de fin 2006, paru dans Tygodnik Powszechny (L’Hebdomadaire universel ou général), l’autre il y a 6 ou 7 mois dans le Wall Street Journal (WSJ). Comme cela avait été le cas à propos de Montesquieu dans Die Zeit, ici aussi ce sont des historiens qui sont à la manœuvre.
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Wholly/holy et fédéral/habsbourgeois
Je commence par le plus récent, du 10 novembre 2011 sous le titre 2021: The New Europe dont  CI (n° 1100) baptise de larges extraits : En 2021, Vienne, capitale d’une nouvelle Europe "germanique". C’est assez enlevé, d’un ton qui a fortement réjoui plusieurs lecteurs (*) et qui pourrait surprendre dans le WSJ – à moins de se souvenir que celui-ci a été racheté,  voici  cinq ans, par News Corp. – c’est-à-dire Murdoch. Comme signalé plus haut, l’auteur est un historien, Niall Ferguson, un britannique par ailleurs spécialisé dans la finance et l’économie, et qui enseigne à Harvard.
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(*) On accède directement à l’article en anglais et aux commentaires dans l’édition en ligne du WSJ :
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Il s’agit d’un scénario dont l’aboutissement dans en une dizaine d’année est une Europe ayant pris la forme de ce que des langues acérées désignent par un Wholly German Empire. Le holy qui se cache dans wholly n’ayant pas échappé aux traducteurs de CI, ils en ont fait un Véritable Saint Empire germanique. Il s’agit de la structure d’une Europe redessinée dont la saveur n’aurait peut-être pas déplu à Montesquieu – un fédéralisme budgétaire – mais celle aussi d’un Saint Empire à forte coloration habsbourgeoise.
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Plus intéressant est de préciser à quoi correspond cette Europe redessinée puis de suivre le raisonnement qui montre comment on pourrait en arriver là. C’est ce que je vais essayer de ramasser maintenant à partir des versions en anglais (WSJ) et en français (CI), sachant d’ailleurs que la seconde n’a pas forcément respecté l’ordre des alinéas parmi les extraits qui ont été traduits.
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Une Europe redessinée
C’est une Europe redessinée, dans la mesure où les Britanniques en sont sortis, que l’Irlande de plus en plus mal à l’aise vis-à-vis de Bruxelles a fait de même, que les Écossais ont mis une sourdine à leurs velléités d’autonomie, que tout ce monde s’est rapproché pour donner un Royaume  Ré-Uni qui profite largement de capitaux chinois.
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Dans la mesure aussi où en Scandinavie, Islande comprise, les tendances national-populistes (qu’un surmoi historique n’inhibe pas comme c’est le cas en Allemagne) ont entrainé un refus d’avoir à payer pour les pays du Sud, une scission par rapport à l’Union européenne (UE), et la création d’une Ligue du Nord à la Viking.
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En revanche, l’Europe redessinée (**) – qui comprend tout le reste de l’actuelle UE, a intégré les pays de l’ex-Yougoslavie.
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(**) Sur la carte – faite un peu à la va-vite – qui illustre ce billet, et par analogie avec les USA, l’Europe redessinée est désignée par USE (United States of Europe) et comporte – comme on le verra par la suite – trois sous-ensembles : un USE méditerranéen des vacances ; en bordure de la Baltique, mais sans la Scandinavie, un USE comme zone franche productrice dans un régime de "laissez-faire" économique ; et le reste des USE.
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Sur les rives de l’Europe méditerranéenne, où 20% de la population a plus de 65 ans et 20% se trouve au chômage, l’économie est en bonne partie au service d’Allemands qui y ont désormais leurs résidences secondaires. Les Pays baltes quant à eux, et la Pologne, sont également en relation économique avec l’Allemagne, mais autrement : ils sont tous passés à l’euro, et les Allemands y investissent pour y développer des capacités de production plus rentables.
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Curieusement – et même si on subodore que la France a un pied dans l’Europe du Sud, l’article est presque muet à son sujet. (***)
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(***) Si on s'éloigne de article lui-même, pour s'intéresser à son auteur, la célébrité de Niall Ferguson tient notamment à un livre controversé (The Pity of War, 1998) où il estime qu'il aurait mieux valu que le Royaume-Uni soit resté en dehors du conflit en 1914 et qu'elle ait laissé l'Allemagne l'emporter : la guerre ne serait pas devenue mondiale,  et l'Europe, devenue prospère sous la houlette germanique, aurait échappé au fascisme et au communisme. On classe habituellement Ferguson comme proche des néo-conservateurs.
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Cheminement
Au moment où Niall Ferguson livre son scénario au WSJ, on sent bien l’ambiance : l’euro est menacé et l’UE à sa suite. La théorie des dominos travaille tous les esprits, d’une part quant aux dettes souveraines susceptible d’expulser, chacun à son tour de la zone euro, plusieurs pays européens, tout en mettant particulièrement à mal le système bancaire… d’autre part, mais on en constate concrètement ici les premiers effets, plusieurs gouvernements ont déjà succombé au désaveu des électeurs. L’auteur annonce sans trop d’imagination le changement de Président en France et – plus risqué – celui de la Chancelière allemande puis, de l’autre côté de l’Atlantique, du Président américain.
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Il attribue notamment le basculement de la CDU vers le SPD en Allemagne à une opinion qui a fini par en avoir assez que l’on cherche à sauver les banquiers sur le dos des contribuables. Dans le domaine financier, se conjuguent deux phénomènes : la création d’une sorte de Ministère européen des finances – à Vienne, histoire de prendre un peu de champ par rapport à Bruxelles ; et la carte blanche donnée au Directeur de la Banque centrale européenne d’outrepasser son mandat, d’en faire de la BCE un prêteur de dernier ressort pour les gouvernements, en rachetant par exemple les obligations italiennes et espagnoles (une technique du type planche à billet) – c’est un élément qui me semble clé dans ce scénario : est-ce que ça marche ? oui... et l’euro s’en porte mieux par la suite.
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Par ailleurs
S’ajoute enfin un élément de contexte destiné – s’avèrera-t-il lui-aussi pertinent ? – à étoffer le propos. Sur le pourtour méditerranéen et malgré les espoirs qu’il avait suscités, le printemps arabe fait long feu. Une attaque (non nucléaire, les Européens ayant dissuadé Israël d’en venir là, par crainte peut-être de voir arriver de nouveaux nuages du type Tchernobyl au-dessus de leurs têtes, voire de leurs plages) sur les installations nucléaires iraniennes,  a ressoudé tout ce monde – même la Turquie, qui a mis fin à la séparation séculaire qu’Ataturk avait initié entre l’Islam et l’État. Et les USA, désormais présidés par le Mormon Mitt Romney avaient à ce moment-là d’autres souci que d’apporter leur soutien à Israël.
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