samedi 27 février 2010

Manuscrits de la mer Morte


Comme pour bien des sujets de ce bloc-notes, je suis loin d’être ferré sur celui que j’aborde ici. Je me suis simplement trouvé ces jours-ci au carrefour de deux informations sur un sujet qui n’a rien de très nouveau – celui des manuscrits de la mer Morte : la parution, il y a trois semaines au Royaume-Uni, d’un ouvrage signé par l’un de ses meilleurs connaisseurs ; et l’annonce d’une exposition organisée par la Bibliothèque nationale de France (BnF) au cours du printemps qui approche.

Incertitudes
Tout au long du premier siècle au cours duquel le christianisme a émergé, le débat sur la signification et même la formulation de certains versets de textes à caractère prophétique de la bible hébraïque, a été plus que vigoureux entre Juifs et Chrétiens – chaque partie soupçonnant l’interprétation faite par l’autre de tirer la couverture de son côté.

Si on se réfère à ce que sont devenus ces textes par la suite, on remarque que, quelques minimes qu’elles soient, les différences entre les textes des Juifs massorètes et ceux de la Septante par exemple, présentent des différences significatives. Les premiers sont le produit d’un travail de fixation des textes anciens qui, avec les Massorètes a pris une réelle ampleur à partir du 7ème siècle de notre ère et abouti à une version considérée comme fiable au 10ème siècle. Les seconds sont une traduction en grec qui avait été réalisée, à Alexandrie vers 270 avant notre ère, par des Juifs érudits et ont constitué – malgré que ce soit une traduction – une référence ayant l’avantage de l’antériorité.

Découverte des manuscrits
Il a fallu attendre le 20ème siècle et la découverte à partir de 1947 de ce que l’on appelle les manuscrits de la mer Morte pour disposer de nouveaux éclairages – ces documents relativement conséquents (900 rouleaux) ont été datés comme rédigés entre le 3ème siècle avant notre ère et le milieu du 1er siècle chrétien. Autant dire que, tant chercheurs que responsables religieux n’y ont pas été indifférents, et que le débat désormais contemporain y a trouvé de nouvelles munitions : car si le travail de déchiffrement et de regroupement des pièces a été promptement mené – pour l’essentiel avant 1960 – la lecture et la transcription semblent avoir constitué un parcours d’obstacle tel que la publication de l’ensemble a dû attendre au-delà de l’an 2000 – plusieurs décennies.

C’est l’histoire que raconte Geza Vermes dans son tout récent ouvrage The Story of the Scrolls (Penguin, 260 pages). Dans The Economist (February 20th 2010, p.78), le critique de la rubrique Books and arts considère qu’il faut savoir garder une tête particulièrement froide pour s’exprimer à ce propos – qualité dont, à l’exception d’une prise de position sur le Jésus historique – il crédite volontiers l’auteur. Il rappelle à cette occasion que ce dernier est né en Hongrie de parents Juifs convertis au catholicisme au début des années ’30 mais disparus néanmoins dans la Shoah. Ordonné prêtre, il étudie à Budapest puis à l’université catholique de Louvain, est l’un des premiers à pouvoir examiner les manuscrits de la mer Morte – dont il fait sa thèse de doctorat – et entreprend leur traduction en anglais. Entre temps, il a quitté l’Église catholique, renoué avec son identité juive, s’est installé au Royaume-Uni où il devient professeur d’études juives à l’université d’Oxford.

Hypothèses – portée et limites
Il écarte, dans son ouvrage, la thèse d’une quelconque conspiration de la part des catholiques qui avaient été parmi les premiers à prendre connaissance de ces manuscrits (l’argument qui avait été avancé étant que cela aurait dérangé certaines de leurs croyances). Il estime par ailleurs que si nous en tirons une meilleure compréhension autour des débuts du christianisme, ce n’est qu’en partie. Côté rassurant pour les Juifs, leur contenu est très proche des versions massorétiques qui ne seront stabilisées que plusieurs siècles plus tard. Et non moins intéressant pour les Chrétiens : certains passages de l’Ancien testament auxquelles ils tiennent mais qui n’apparaissent pas dans ces versions massorétiques sont bien là dans les manuscrits de la mer Morte – on ne peut donc pas les taxer d’inventions tardives élaborées au sein de communautés chrétiennes. Si on cherche à remonter dans le temps, tout cela pousse à accepter la coexistence sur longue période de plusieurs versions des Écritures, plutôt que de privilégier une origine unique (ce qui peut faire problème pour les tenants d’une vérité révélée).

Exposition de printemps de la BnF
Dans ses Chroniques de mars-avril 2010, la BnF annonce l’exposition qu’elle organise du 13 avril au 11 juillet à ce sujet : Qumrân, le secret des manuscrits de la mer Morte. Sur la base des 377 fragments de manuscrits et de bien d’autres documents relatifs à la diffusion de la Bible que la BnF conserve, ainsi que des prêts exceptionnels, notamment en provenance d’Israël et du Royaume-Uni, cette exposition promet d’intéressantes découvertes à ceux qui viendront la visiter. Comme à chaque exposition, ceux qui ne pourront pas s’y rendre directement auront le loisir d’en parcourir l’exposition virtuelle.

Pistes diversifiées
Dans son récent numéro, Chroniques présente aussi la thèse de l’archéologue et dominicain Roland de Vaux qui a participé dès les débuts aux fouilles, pour qui les auteurs de ces écrits seraient des Esséniens, communauté juive remontant au 2ème siècle avant notre ère. Thèse qui divise profondément certains chercheurs mais qui est presque devenue la Loi et les prophètes pour bien des Églises protestantes américaines. On trouve également dans ce bulletin des entretiens, d’une part avec une archéologue formée à l’université catholique de Louvain et qui a cosigné L’Affaire Qumrân, ainsi qu’avec Michael Langlois, un philologue issu du protestantisme et conseiller scientifique de l’exposition ; d’autre part avec la romancière de Qumrân, thriller théologique – quête spirituelle et quête policière – à la Umberto Eco. Œuvre d’interprétation aussi : elle est d'ailleurs de l'avis que les Juifs ne sont pas le peuple du Livre mais le peuple de l’interprétation du Livre.

Expositions virtuelles de la BnF : sur le site http://www.expositions.bnf.fr – ceux que cela intéresse se dépêcheront de s’y rendre car on peut encore, en cette fin de février, visiter celle sur La légende du roi Arthur, l’exposition «réelle» étant close depuis un mois… ou L’estampe japonaise, close il y a moins de deux semaines.
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L’Affaire Qumrân : Estelle Villeneuve et Jean-Bapiste Humbert – Découvertes Gallimard, 2006.
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Qumrân : Éliette Abécassis – Le livre de Poche, 1996.
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