lundi 13 juillet 2009

Suivez la tête du prorok


Du vent ?
La 9ème édition – celle de 2008 – aurait-elle porté un relatif coup de grâce aux expositions estivales ArtSénat, qui se tenaient dans le Jardin du Luxembourg ? L’édition de 2009 fait preuve d’une plus grande retenue et se traduit pour l’essentiel par quelques expositions qui se succèdent à l’intérieur de l’Orangerie. Certains vont jusqu’à dire que le Jardin a été cette fois épargné.

On en arrive à se demander si, en temps qu’institution, le Sénat même n’aurait pas pris ses distances : à la différence de l’an dernier, il faut un réel savoir-faire et une certaine obstination pour dénicher cette manifestation sur le site
http://www.senat.fr/ et apprendre qu'elle n’est pas totalement enterrée.

Il faut rappeler que, sous le titre «Du vent dans les Branches», ce que l’on avait pu voir en 2008 avait laissé les médias particulièrement cois. Ou plutôt : ne sachant que dire et se contentant, dans plus de 9 cas sur 10, de faire un «copier / coller» du commentaire diffusé par les organisateurs – ce qui est devenu une pratique classique pour l’art contemporain. Vide intersidéral dans les blogs… parfois quelques photos – stop – à vous d’en penser ce que vous voulez.

Pour ceux qui veulent relever la sauce, ces quelques extraits repêchés dans un repli de la toile : «Regardons cet art du XXIe siècle, exposé au vu de tous, librement, gratuitement […] Le culte de l'objet sans âme. […] Il faut s'y faire […] C'est la mode. […] Un vent souffle dans les branches. Vous aimez le vent ? Vous êtes dans le vent.»

Ténacité
Il y a pourtant – quand la saison fut venue de fermer boutique – une œuvre qui a résisté au vent d’automne, puis d’hiver et même aux giboulées de mars. Et pour cause : plus de 6 mètres et je ne sais combien de tonnes – une tête en bronze, masse imposante renvoyant à leur gracilité les statues des reines de France qui l’environnaient.

Il n’y a que le provisoire qui dure et on finissait par s’y habituer. Les adeptes du tai-chi qui ont élu le Luxembourg pour leurs évolutions au ralenti, à la fois légères et martiales, semblaient, jour après jour, chercher à en conjurer la présence.

Comme on l’apercevait de loin en venant du boulevard Saint-Michel, certains guides en avaient fait leur point de rendez-vous. Et qui dit groupe de touristes dit photo-souvenir : ça flashait pas mal pour ce visage au regard vide et cela ne m’étonnerait pas qu’on le retrouve dans quantité d’albums aux quatre coins de la planète.

Une petite pancarte, tout près du sol sous son menton précisait que c’était «Le Prophète» qui y était représenté (et même le «prophète des prophètes» pour ceux qui ont fureté dans les catalogues). Mais parfois, il fallait bien essayer de traduire.

Perplexité
Un beau matin, se trouvaient à proximité quelques personnes qui avaient tout l’air de venir de quelque part en Russie. Tout en se regroupant pour la photo, elles jetaient des coups d’œil un peu perplexes à ce visage, comme s’il leur disait quelque chose – quelqu’un. Non, la ressemblance est loin d’être parfaite mais ce n’était pas la première fois que j’avais perçu cette allusion. Une petite conversation multilingue s’engagea avec moi afin de s’assurer de la signification du mot «prophète» : j’eus le sentiment qu’à le traduire directement par «пророк», elles ne parvenaient pas à calmer entièrement leur perplexité. Avant de nous éloigner, l’une d’elles me fit remarquer que la statue, largement éclairée par le soleil à l’heure où l’on vient d’ouvrir les grilles du Jardin, avait la face tournée vers l’Est et que ses yeux légèrement absents semblaient chercher, au-delà de l’horizon, ces vastes étendues d’où son groupe venait.
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Vers d'autres horizonsCes derniers jours, le Prophète qui jouait les prolongations a disparu. Les reines de France peuvent ainsi reprendre leurs conversations séculaires. Les adeptes de tai-chi doivent se recentrer sur eux-mêmes, Les guides s’inventent de nouveaux rendez-vous à fixer à leurs groupes de touristes. Et les objectifs photographiques trouveront bien d’autres repères pour venir en aide aux souvenirs.

A disparu… c’est vite dit. Il a délaissé la Rive gauche pour la Rive droite, s’est campé au dos de l’église de la Madeleine, dans l’axe de la rue Tronchet, le regard cette fois orienté vers le Nord. «C’est du Nord aujourd’hui que nous vient la Lumière…» avait, sur le tard en 1771, écrit Voltaire à la Grande Catherine.

Huit tonnes à transporter, ce n’a pas dû être rien. Il a encore, ces jours-ci, le crochet qui lui a été vissé sur le crâne. Je m’imagine le trajet fait de nuit, la tête bardée de catadioptres rouges suspendue à l’arrière d’un camion grue. Elle s’éloigne du Panthéon qu’elle contemplait depuis un an et où reposent les cendres de Tronchet, justement, cet avocat qui a défendu Louis XVI à son procès. Elle longe la Seine, puis change quelque part de rive. Toujours encadrée par des motards, elle traverse la place de la Concorde que l’on aménage pour le grand défilé du «Bastille Day», dans quelques jours. Puis elle s’engouffre dans la rue Royale avant d’atteindre son nouveau poste d’observation – entre Hédiard et Fauchon, près de la Pinacothèque, donc de Suzanne Valadon et de Maurice Utrillo jusqu’à mi-septembre.

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