samedi 26 février 2011

Sur les sentiers de l’économie


Champagne pour tout le monde
Déniché, sous le titre Thèse d’Économie, au milieu de l’avalanche de ce qui atterrit dans nos boites e-mails, une invitation à picoler :

Ce n'est qu'une hypothèse, mais le raisonnement est assez juste Imaginons que le gouvernement Français concède à chacun d'entre nous une bourse de 600 euros.
Si nous la dépensons au supermarché du coin, cet argent part en Chine.
Si nous dépensons l'argent en essence, il part au Moyen-Orient.
Si nous achetons
… un ordinateur, en Inde.
… des fruits et des légumes, en Espagne, au Maroc et autres…
… une bonne voiture, en Allemagne.
… des babioles, à Taiwan.

Tout cela n’aidera pas notre économie. La seule façon de maintenir l'argent en France, c'est de le dépenser en achetant du vin ou du champagne, biens encore produits chez nous. En faisant la bringue, j'accomplis mon devoir civique…

Conversations de Salon
Sifflons la fin de la récréation pour parcourir – ne serait-ce qu’au ventilateur – la bonne trentaine de pages (dont un quart de la surface est occupée par des caricatures, photos, tableaux ou cartes) que Courrier International vient de consacrer – Salon de l’agriculture oblige – à un dossier sur ce secteur (n° 1059 du 13 février).

Une cinquantaine de sources ont été mises à contribution mais, comme vous êtes censés être imbattable sur ce qui les motive, on ne présente pas Foreign Policy, Globe and Mail, Nature, The Observer, New Scientist, Die Zeit, FAZ, The Economist, Time, Svenska Dagbladet, La Repubblica, Ppr.pl, România Libera, Ogoniok, The Mosow Times, NYT, El Mundo, Pew Hispanic Center, El Universal, Coreio de Povo, The Times of India, BBC Persian, Xin Shiji Zhoukan, Nikkei Business, Ha’Aretz, The Christian Science Monitor, Wal Fadjri, La Vanguardia, ABC, El Pais, The Ecologist, The Atlantic… Ils ne sont donc pas cités dans la traditionnelle revue des sources en tête de ce numéro – si vous n’en avez idée, partez à leur rechercher avec votre propre bâton de pèlerin. La curiosité du jour, en revanche, est qu’un magazine très illustré et décontracté, destiné aux jeunes Japonais qui voudraient se lancer dans l’agriculture – Agrizm – est particulièrement mis en valeur dans ladite revue des sources, sous forme d’un encadré spécial : j’ai dû mal fouiner, y compris dans la rubrique Insolites, mais n’en ai trouvé trace à aucune autre page.

Revenons à nos moutons – un quotidien milanais nous conte notamment qu’une école de bergers (basque, à vocation internationale) enseigne comment les aller faire paître, les tondre et se fabriquer un fromage. Mais pas d’illusions : même si, dans ce qui suit, vous croyez lire quelque chose qui se tient, n’oubliez pas que c’est un patchwork de faits et d’opinions disparates.

Basics : l’offre et la demande
Si on raisonne en termes de demande, on pourrait être légèrement rassuré parce que la croissance démographique mondiale commence à se tasser mais s’inquiéter de ce que, tout réjouissant que ce soit, le nombre de calories ingérées augmente : + 10% entre maintenant et 2050 pour la population, + 30% dans le second cas – soit plus de 40% au total. Déjà, les Chinois consommeraient au total deux fois plus de viande que les Américains. Mais l’inquiétude s’accroît quand on apprend, par exemple, que, de plus en plus, les céréales servent à produire des carburants (pour un tiers aux États-Unis).

Du côté de l’offre, l’érosion des terres cultivables touche sévèrement l’Asie centrale et l’Afrique centrale. L’utilisation à grande échelle des pompes mécaniques épuise les ressources aquifères et les surfaces irriguées reculent – à commencer par le Moyen-Orient et, progressivement, en Inde, en Chine, en Californie ou au Texas. Les progrès technologiques qui avaient permis de meilleurs rendements s’essoufflent désormais (pour le riz en Asie, pour le blé en Europe).

Par ailleurs, l’expansion urbaine se fait au détriment de terres cultivables et dispute les ressources en eau aux paysans (mêmes régions que ci-dessus, ainsi que le bassin du Nil). Des températures devenues supérieures à la normale mettent en danger les récoltes (voir l’été 2010 en Russie). Le recul des glaciers dans l’Himalaya menace l’irrigation par les grands fleuves qui en sont issus. Et, d’ici quelques décennies, l’élévation du niveau de la mer, suite à la fonte des calottes glacières menacera de son côté la riziculture des deltas du sud-est asiatique. Conséquences : pénuries, hausse des prix, révoltes de la faim dont on a déjà eu quelques exemples cette année.

Rats des villes, rats des champs…
Ceux qui aiment les rétrospectives sauront que (à un petit intermède près lors du New Deal) au cours du 20ème siècle les régimes de tout poil – fascistes, communistes, capitalistes – ont considéré qu’une politique agricole sensée devait servir à nourrir les citadins à bon marché, quelles qu’en soient les conséquences pour les producteurs. Leurs éventuels profits devaient être injectés dans la production industrielle…

Et le rôle du monde rural était de servir de réservoir de main-d’œuvre bon marché pour les villes. Après son accès à l’indépendance, l’Inde a suivi un chemin analogue… et s’est retrouvée importatrice de céréales américaines. Dans les années ’80, la crise africaine et latino-américaine de la dette a conduit ces pays à pressurer leur secteur rural pour en extraire de la trésorerie : plus de subventions, prix qui s’envolent, production qui repart, marché qui s’effondre, cycles haut-et-bas de plus en plus courts…

… Et spéculation
Au même moment, irruption du financier spéculatif qui se cherchait d'autres terrains de chasse. Avant, il y avait certes un marché dans le domaine de l’alimentaire… mais dont les prix étaient calqués sur l’offre et de la demande réelles. Au cours des années ’90, ce sont désormais la déréglementation, et des échanges de produits dérivés entre courtiers, concernant ces mêmes produits alimentaires comme cela se faisait pour le pétrole ou les métaux. Arrive la crise des sub-primes de l’immobilier : on met à l'abri des milliards de dollars qui vont s’investir dans des valeurs sûres, telles que les denrées. Et, depuis, les prix de celles-ci ont grimpé outre mesure et leur instabilité s’est amplifiée.

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