samedi 26 février 2011

Les grandes manœuvres



Troisième et dernière étape – encore à travers champs – de notre randonnée éco-rurale. Après – avec quelques raisons – nous être fait peur sur les fondamentaux du secteur puis avoir allumé, et les politiques, et la finance, pourquoi ne nous paierions-nos pas l’agro-industrie, et même les OGM ?

Les poids lourds
Des semences aux technologies, en passant par les engrais, puis du traitement industriel jusqu’à la distribution commerciale, cette industrie n’est-elle pourtant pas la meilleure amie de l’agriculture et du consommateur ? Fabulation distillée par l’agro-industrie elle-même, disent certains… relayée par les gens de la FAO (organisme de l’ONU s’occupant de l’alimentation et de l’agriculture) puisque, directement ou indirectement, elle les finance.

Les économistes vous diront que si les 4 principaux acteurs d’un secteur détiennent ensemble 40% du marché mondial, la concurrence s’y émousse et, au fur et à mesure de la montée des prix, ils s’approprient une part disproportionnée des profits. Il en va ainsi pour le café, le cacao, le thé, les bananes… pour lesquels les 4 premiers fabricants de l’agrochimie détenaient 60% du marché mondial en 2004, et en croissance (47% en 1997) ; les semences suivant allègrement derrière (33% en 2004).

OGM, j’aime
Sans compter 91% pour le seul Monsanto, s’agissant des OGM. On sait le débat à ce sujet. Quelques indications pour vos dossiers : en 2009, 87% des surfaces plantées en OGM se trouvaient en Amérique du Nord (54%) et en Amérique du Sud (33%). D'ici deux ans, Monsanto et ses principaux concurrents comptent commercialiser des semences de maïs résistant à la sécheresse et, au cours des années suivantes, ils l'envisagent pour d’autres pouvant pousser sur des sols privés d’éléments nutritifs essentiels (à base d’azote ou de phosphore) – c'est intéressant si on se rappelle que, comme cela a été le cas en 2008, le prix des engrais azotés s’est mis à doubler.

Des Verts au régime
Au tour des consommateurs maintenant – en se focalisant sur la viande, notamment en raison de ses effets environnementaux.

On a vu que, globalement, les Chinois en consomment désormais plus que les Américains. En 1970, chacun en prenait moins de 10 kg par an – maintenant, c’est plus de 50. Aux États-Unis c’est un peu plus que 100 kg par tête ; en Europe, vers les 90 kg. Pour l’ensemble de la planète, la production de bœuf a doublé sur la même période, celle de porc a triplé et celle de poulet sextuplé. Et (mais que couvrent les moyennes ?) la production a été de 90 litres de lait par habitant.

Il faut savoir que le tiers de la production céréalière est consommé par les animaux d’élevage (plus de la moitié, si on inclut la production du lait et celle des œufs). Si tout le monde arrêtait de manger de la viande, des produits laitiers et des œufs, il faudrait évidemment compenser par plus de céréales dans l’assiette… mais on économiserait quand même 20% des surfaces dédiées aux cultures alimentaires – sans même parler de l’érosion, des pesticides et de la moitié de la production d’antibiotiques qui est mélangée à l'alimentation du bétail… ni des émissions de gaz à effet de serre : 3,6 kg de CO² pour un kg de poulet industriel, 11 pour du porc, et 28 pour du bœuf [Remarque : le graphique que j'ai trouvé pour illustrer ce billet, et dont il est dit qu'il provient du site de l'ADEME, ne coïncide avec les chiffres qui viennent d'être mentionnés que si on regarde la barre qui est sous les pieds de chaque animal ; un rapide tour de piste des données fournies par d'autres sources me laisse penser que ce sont bien ces chiffres là qu'il faut retenir.]

Comme arrêter de consommer du lait ne va pas de soi, cela suppose qu’il restera des vaches qui, nécessairement, devront mettre bas chaque année pour continuer à en produire (réflexion analogue pour les œufs et les poules pondeuses). Moins consommer de viande – et surtout de bœuf, oui – mais pas du tout au rien.

Une PAC pour faire bien dans le paysage
La PAC, la politique agricole commune, n’a pas arrêté de faire parler d’elle. Et comme les États-Unis ne sont pas blancs comme neige en matière de subventions, le libéralisme anglo-saxon trouve habituellement ses porte-drapeaux en Grande-Bretagne. Pour preuve, le dossier de Courrier International utilise une caricature tirée de The Economist : une vache plus ou moins folle qui se nourrit de billets de banque. Mais c’est à Die Zeit et à la FAZ (Frankfurter Allgemeine Zeitung) qu’il fait appel pour propulser les boulets rouges.

Rappel de la facture : 100 milliards d’euros par an. Bof ! Et qu’est-ce qu’on a donné aux banques, alors ? rétorque une bénéficiaire dont l’exploitation se trouve en Forêt-Noire et reconnaît que 60% de ses revenus proviennent de subventions… pour ajouter : On pourrait s’en passer. Ça demanderait un virage sur quelques années.

Les objectifs de la PAC (sécurité des approvisionnements et prix raisonnables pour les consommateurs) ont été fixés voici plus de 50 ans quand l’agriculture représentait 25% de la population active (4% aujourd’hui) et 10% du PIB (1%). Au regard de ces objectifs, ces subventions ne sont pratiquement plus nécessaires – elles sont pourtant restées (pour la FAZ, c’est désormais en faveur du jardinage paysagiste). De plus, quand le consommateur paie 100, l’agriculteur ne perçoit que 21 – le reste allant dans les poches de l’industrie agro-alimentaire et de la grande distribution. [Le calcul de Die Zeit est à examiner de plus près car il n’est pas clair qu’il incorpore les subventions.]

La Commission de Bruxelles planche sur des réorientations à horizon de 2020 mais le pronostic est que la montagne va accoucher d’une souris : diminution de la part forfaitaire qui, dans les subventions, favorise plutôt les grandes exploitations.

Coup de projecteur sur la Pologne
Pour mémoire : certains historiens et économistes estiment qu’il y a quelques siècles – et culminant au Siècle d’Or de ce pays – la partie orientale de l’Europe qu’il contrôlait alors est devenue un grenier à blé et a troqué avec la partie occidentale une garantie contre les famines contre des produits artisanaux puis manufacturés… ce qui a retardé sa propre entrée dans l’ère industrielle et fait de la réforme agraire un problème lancinant, perpétuellement reporté… en attendant l’arrivée du Grand Frère soviétique. Il semblerait qu’il en reste quelque chose.

Gazeta Wyborcza, rappelle que les 4 millions de minuscules exploitations créées au lendemain de la 2nde Guerre mondiale étaient obligées de vendre leur production à l’État à (faible) prix fixé et que la décision de rendre les prix plus réels vers la fin des années ’80 a paradoxalement conduit le monde rural à réclamer un retour à des prix administrés : les revenus s’étaient certes envolés… mais les coûts de production aussi.

Outre l’ouverture des frontières, voici, pêle-mêle, ce qui s’en est suivi : tentatives d’empêcher les paysans de quitter leurs terres, afin de contenir le chômage urbain, ils sont exemptés d’impôts et de cotisations à l’assurance-maladie.

Généreuses, les subventions de la PAC sont accordées à l’hectare : tout propriétaire d’un hectare est un agriculteur ; ceux-ci représentent 18% de la population contre 4% en Allemagne ou en France ; un tiers d’entre eux produit pour le marché (les autres pour eux-mêmes). Le marché des terres agricoles est au point-mort (pourquoi abandonner un moyen de subsistance élémentaire ainsi que le justificatif de subventions et exemptions d’impôts ou autres cotisations ?) ; la modernisation en souffre au premier chef.

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