mercredi 21 octobre 2009

Coup de chapeau

«Le coup passa si près que le chapeau tomba…» Alors que nous pourrions célébrer cette année le 150ème anniversaire de la Légende des siècles de notre indéracinable Victor Hugo, voici un coup que je n’avais pas vu venir. Et c’est l’ami Till qui l’a sorti de son chapeau, le même qu’il y a environ un an (voir mon billet du 17 septembre 2008 : Heureux qui, comme…) L’article auquel il se référait s’intitulait Commons sense - et, cette fois, Reality bites – qui est consacré aux deux récents Prix Nobel d’Économie.

Flash back. Pas économiste de formation mais ayant été embarqué comme beaucoup d’autres dans cette aventure, qui se poursuit à bon rythme, celle de l’évolution des moyens de communication, je n’avais pas pu échapper à cette curieuse histoire des coûts de transaction. Le nom de Ronald Coase est généralement cité : lui qui – en 1937, il a alors 26 ans – publie un article sur la Nature de l’entreprise. Il sera nobélisé en 1991.

Une question apparemment simpliste
Avec des individus rationnels ayant une information transparente sur un marché régi par une concurrence pure et parfaite, l’économie est censée fonctionner de façon fluide sans autre intervention extérieure… Pourquoi diable existe-t-il alors des entreprises au sein desquelles ce n’est pas le marché qui fait spontanément la loi mais des hiérarchies et des relations de pouvoir qui viennent l’en déloger ?

Réponse : c’est parce que les transactions ont un coût. Or, on a avantage à recourir à une organisation si les coûts de transactions y sont plus faibles qu’en faisant appel au marché. Exemples de transactions ayant un coût : aller prospecter sur le marché afin d’y rassembler une foultitude de coûts avant de prendre sa décision rationnelle ; temps passé à négocier et conclure un contrat ; coût relatif à la qualité de la prestation fournie ou à vérifier une livraison…

Inutile de faire un dessin pour les lecteurs de ce bloc-notes : ils savent que, depuis deux ou trois décennies maintenant, l’informatique, les PC, le téléphone à toutes ses sauces, l’Internet… n’ont cessé de rendre l’information plus facile d’accès et moins coûteuse. Bref – si on y réfléchit un peu – ils n’ont cessé de bouleverser les coûts de transaction et, en y regardant de plus près, remis en question la raison d’être ou la structure de certaines organisations. Et pas seulement des entreprises.

Dommages et bénéfices collatéraux
Mais Ronald Coase ne s’est pas contenté de ce qui précède et, parmi d’autres thèmes, est allé voir du côté des externalités et des biens communs. Késaco ?

Les externalités représentent un autre coup d’épingle dans le bel édifice de la théorie économique libérale. Elles se manifestent lorsque, en intervenant sur un marché, un producteur ou un consommateur influe sur la situation d’un tiers – positivement si ce dernier qui en bénéficie n’a rien à lui payer ; négativement si c’est l’inverse. On a l’exemple classique de l’apiculteur dont le miel est de meilleure qualité car ses abeilles profitent des arbres d’un verger voisin – dont le propriétaire ne sera pas pécuniairement compensé pour autant. Ou celui de la pollution du voisinage par un établissement industriel.

Le laisser-faire n’étant pas la solution face à cette défaillance du marché, certains sont pour une intervention de l’État : réglementer, taxer (principe du pollueur-payeur), fixer une norme… La préférence d’autres va à l’internalisation (l’apiculteur rachète l’arboriculteur), à un marché de droits (ex. : droits à polluer), à la négociation.

Filiation chez les Nobel
A la négociation… Un des domaines d’application de la négociation touche aux biens communs. La célèbre tragédie des biens communs recouvre le phénomène de la surexploitation puis de la disparition d’un bien commun, en raison d’un conflit entre l’intérêt individuel de chacun de ceux qui sont en compétition pour accéder à ce bien limité. Cas typique : un champ commun à tout un village, où chaque éleveur qui vient y faire paître son troupeau a individuellement intérêt à en augmenter la taille.

On pourrait faire appel à une autorité extérieure… mais arrêtons-nous en là : comme nous le rappelle Till – notre mémoire en la matière – nous avons déjà abordé ce sujet dans notre billet du 17 septembre 2008, en mentionnant notamment le Tribunal des Eaux de Valencia.

Concluons provisoirement en revenant à Reality bites (The Economist – October 17th 2009, p.82) qui nous présente les deux Prix Nobel de l’Économie, cette année, comme des héritiers de Ronald Coase qui l’a reçu 18 ans plus tôt : Oliver Williamson qui a approfondi la question des coûts de transaction et Olinor Ostrom (la première femme à recevoir ce Prix) qui a fait de même au sujet des biens communs.

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