lundi 3 août 2009

Sens uniques à rebours


Hébergé, voici bien longtemps, quelque part de l’autre côté de l’Atlantique, j’avais trouvé sur l’étagère de la chambre d’amis un manuel du parfait petit vendeur. Et j’y ai jeté un coup d’œil, ce qui m’a conduit à, au moins, deux remarques.

Bien vendre, se bien vendre
D’abord que to sell, peut être employé de deux façons : la plus directe (he sells this book for 10 dollars > il vend ce livre pour 10 dollars) mais aussi comme équivalent de se vendre (this book sells well > ce livre se vend bien) – c’est ce que nous avons communément repris en utilisant best-seller dans notre vocabulaire (cela s’écrit aussi bestseller en anglais).

Que quelque chose se vende bien comme par soi-même va à l’encontre d’un adage plus volontariste selon lequel «La vente commence quand le client dit non.» Ce qui n’exclut pas nombre de situations où le potentiel client ne manifeste pas un grand enthousiasme. Que faire alors ? C’est ici que j’en viens à ma seconde trouvaille – la vente en quatre temps :
... 1. Attirer l’attention.
... 2. Induire une préférence.
... 3. Faire une proposition.
... 4. Verrouiller le contrat.
Si la séquence : 2... 3... 4 doit garder une cohérence logique, la première étape peut bénéficier d’une certaine autonomie (un roulement de tambour peut convenir dans des situations très diverses).

Attention...
C’est ainsi que la photo qui illustre ce billet n’est là que pour attirer l’attention. Elle n’a qu’un lointain rapport avec son contenu. Elle relève d’ailleurs d’une mauvaise foi manifeste, puisque les deux flèches de circulation qu’on y découvre ne sont restées en sens opposés qu’une heure tout au plus : après avoir peint la flèche jaune sur la chaussée, quelqu’un est rapidement venu remettre celle du panneau dans sa nouvelle et bonne direction.

Petite digression : la force de l’habitude étant de beaucoup supérieure à l’attention portée à des sens de circulation qui changent tous les 5 mois sous prétexte de travaux, on a assisté au cours des quelques semaines suivantes à quelques spectacles de véhicules nez-à-nez dans cette rue étroite.

Il y a pourtant d’autres moyens, beaucoup plus durables, de parvenir au même résultat. La recette la plus basique consiste – comme on vient de le voir – à prendre une voie étroite et à sens unique. La plus proche et la plus longue dans le cas présent (il s’agit du 14ème arrondissement de Paris) est incontestablement l’ancienne rue de Vanves chère à Brassens – désormais rue Raymond-Losserand. Tout a été fait pour qu’il en soit ainsi, d’où des trottoirs élyséens afin d’étrangler le flux automobile dont les survivants s’en vont mourir aux abords du cimetière Montparnasse.

A contre-sens
C’est précisément en me livrant à un footing le long de ce merveilleux espace piétonnier – d’autant plus dégagé que les aoûtiens étaient allés s’embouteiller dans d’autres paysages – qu’un sentiment étrange s’est emparé de moi. Une petite fourgonnette aux couleurs reconnaissables et certainement mue par la volonté tenace de «mériter notre confiance» s’était engagée dans notre provinciale avenue à rebrousse-poil. Ce qui devait arriver arriva : elle se trouva face-à-face avec une voiture. Au volant, un sujet de sa Gracieuse Majesté se demandait si – dans ce sens unique à une voie – il avait oublié en quel pays il se trouvait et s’il tenait bien sa droite. Pragmatique, d'autant que la circulation était fluide, il enclencha la marche arrière, de quoi donner à son vis-à-vis la possibilité de s’éclipser dans une rue adjacente.

J’avais spontanément mis l’incident sur le dos du conducteur de la fourgonnette. Je n’y étais pas. Aussi je livre à nos admirables chauffeurs de taxi (à qui on ne l’a pas encore signalé) quelques chemins de traverse inédits – à utiliser de préférence par temps dégagé. Quand vous arrivez sur la rue Raymond-Losserand en venant de la rue Boyer-Barret par exemple, vous pouvez tourner impunément à gauche : il n’y a aucun panneau de sens interdit… ce qui permet de rejoindre la rue de Gergovie comme on vient de le voir quelques lignes plus haut. Mais ce n’est pas tout : essayez aussi de déboucher par la rue du Moulin de la Vierge – même punition, même motif – à droite, s’il n’y personne en face, la rue d’Alésia est à vous en moins que rien. Quoi encore ? Que diriez-vous d’une sortie de la rue du Texel, sur la droite ici encore, à contre-courant, histoire de rejoindre la rue du Château ?

Donner du temps au temps ?
Certains me diront qu’en vendant ainsi la mèche au vu et au su de tous sur Internet, je m’apprête à sonner le glas de ces attendrissantes joyeusetés. Je ne le crois pas. Mon hémisphère droit me dit qu’ils n’ont pas bien assimilé l’histoire de La Lettre Volée d’Edgar Poe, revue et commentée par Jacques Lacan. Et mon hémisphère gauche me remémore qu’à l’issue des travaux de rétrécissement ci-dessus mentionnés concernant la rue Raymond-Losserand, les flèches indiquant, l’une la direction de l’Hôtel de Police du 14ème arrondissement, une deuxième celle de Notre-Dame du Travail… et bien d’autres encore, juste en face de la sortie du métro Pernety, avaient été tourneboulées, et sont restées ainsi près d’un an durant à expédier des non-autochtones vers quelque Diable Vauvert, sans qu’aucun officiel ne s’en émeuve. On doit en trouver trace dans un film (certainement sur un tout autre sujet) qu’une équipe asiatique a tourné là pendant plusieurs semaines.

1... 2... 3... 4... je voulais certainement vous vendre quelque chose – je ne me souviens plus quoi.

1 commentaire:

Raoul N a dit…

Avais-je rêvé ? Rêvé-je maintenant ? Le temps de m'aérer sur l'Atlantique et la rue R-Losserand m'apparaît changée. Non seulement des magasins et cafés ont baissé leur rideau de fer mais ce que je racontais début août ne tient plus, une dizaine de jour plus tard...

Venant des trois rues que j'avais citées, on ne peut plus aussi aisément emprunter la rue Losserand à l'envers.
Depuis la rue du Texel, c'est clair : un panneau de sens interdit est désormais clairement planté.
Depuis la rue Boyer-Barret, on en aperçoit également un... mais curieusement fixé contre le Café du 7ème Art actuellement fermé : continuera-t-on à en déceler la présence à sa réouverture ?
Quant au débouché de la rue du Moulin de la Vierge, rien ne vous empêche encore de touner dans le mauvais sens.