dimanche 5 novembre 2017

La meilleure façon d'apprendre à vivre




CE QUI EST PRÉSENTÉ ICI EST UN REMEMBREMENT D’EXTRAITS
À PARTIR DU TEXTE ORIGINAL

Professeur et pionnier en Suisse des soins palliatifs au CHUV, à Lausanne, Gian Domenico Borasio vient de publier L’Autonomie en fin de vie dans la collection Le Savoir suisse. L’occasion notamment d’évoquer l’importance de l’altruisme et de la bienveillance, ces valeurs fondamentales qui tissent le fil ténu entre la vie et la mort. Il a côtoyé des milliers de personnes en fin de vie. Il nous invite à dépasser la peur de la mort pour apprendre à envisager notre existence autrement, tout simplement pour mieux vivre.

N’est-ce pas parfois pesant de constamment côtoyer la mort?
C’est au contraire un incroyable cadeau. Le contact de personnes en fin de vie nous permet également d’apprendre chaque jour un peu plus à vivre. Si chaque patient est différent face à la mort, il y a néanmoins une constante presque immuable, qui consiste en un déplacement des valeurs personnelles de l’égoïsme vers l’altruisme : se préoccuper davantage de savoir comment celles et ceux qui leur sont chers se sentiront après leur décès, plutôt que des circonstances de leur propre mort.

Vous aviez cité dans votre premier ouvrage cette très belle phrase d’un proche aidant : On pense que ce sont les vivants qui ferment les yeux des mourants, mais ce sont les mourants qui ouvrent les yeux des vivants.
La question à se poser est : pourquoi faut-il attendre d’être au seuil de la mort pour se rendre compte à quel point davantage d’altruisme pourrait être bénéfique à notre existence?

La peur de la mort, dites-vous, déforme les perceptions, entrave l’accès à l’information et empêche le dialogue.
Nous rencontrons plusieurs types de peurs face à la mort. Certaines sont liées à la crainte de souffrir en fin de vie, or la médecine palliative moderne permet de soulager les souffrances dans la quasi-totalité des cas.
D’autres personnes redoutent davantage ce qui touche à l’après, surtout s’il devait ne rien y avoir, à savoir l’annihilation de notre essence d’individu.
Chaque jour, je vois à quel point la meilleure préparation à une bonne mort est d’avoir vécu une bonne vie. Cependant, la définition de ce qu’est une bonne vie ou une bonne mort est complètement individuelle, et ce n’est pas aux autres de porter un jugement sur cela.

Il est un concept que vous chérissez lorsque l’on évoque la prise en charge des personnes en fin de vie, c’est celui de bienveillance.
Le but primordial est de déplacer les obstacles pouvant exister entre une personne et sa propre mort, afin de lui permettre de s’épanouir au mieux dans le moment qu’il lui reste à vivre.
Une fois ce travail accompli, l’essence même de la bienveillance est de ne porter aucun jugement sur la manière dont la personne décide d’utiliser l’espace ainsi procuré.
Ce n’est pas aux médecins de dire comment la mort d’un patient devrait être, car il n’y a pas de modèle. Notre rôle est d’aider à ce que la fin de vie soit en cohérence avec les souhaits et les espoirs des personnes concernées.

Que pensez-vous du suicide assisté?
C’est un choix individuel qu’il faut respecter, mais ce n’est de loin pas une solution pour tous. Il ne concerne qu’environ 1% de la population. Il faut par contre réglementer cette pratique car les associations d’aide au suicide n’ont ni le mandat ni les compétences pour s’auto-contrôler. Il ne faut pas oublier les 99% qui restent et qui ont, eux aussi, besoin d’accompagnement. Ça serait bien triste de réduire la discussion sur l’autonomie en fin de vie à l’unique question de la liberté du choix du moment de sa mort.

Vous êtes critique par rapport au système de santé actuel…
En Occident, le marché de la santé est devenu l’un des principaux moteurs économiques, une industrie dont l’intérêt principal – comme toutes les industries – est de maximiser son chiffre d’affaires. Malheureusement, il y a beaucoup d’argent à gagner avec la fin de la vie. On estime en effet que le tiers au moins des dépenses de santé est réalisé lors de la dernière ou des deux dernières années de vie.
L’industrie de la santé fait des promesses de guérison parfois douteuses et instrumentalise les espoirs des patients désespérés de guérir ou de recevoir un sursis, avec des mesures de maintien en vie qui, parfois, ne sont pas éthiquement justifiables.
Les médias ont par ailleurs également une part de responsabilité, en faisant trop souvent l’apologie d’une médecine triomphaliste qui incite les patients à recevoir des traitements ne faisant pas toujours sens.

Certains médecins, dites-vous, continuent également à vivre la mort d’un patient comme une vexation narcissique.
Les maladies incurables mettent à l’épreuve les médecins dont le métier est d’aider les gens à vivre. Il est toujours très difficile d’arrêter une thérapie ou de ne rien proposer à un patient gravement malade. Ces réticences expliquent en bonne partie les traitements inutiles administrés en fin de vie.
Beaucoup de médecins ont de la peine à parler de la fin de la vie. Si l’on n’a pas une posture claire par rapport à sa propre mortalité, il sera difficile de gérer le trop-plein d’émotions généré par le contact de patients en fin de vie.

Vous êtes au chevet des mourants depuis près de vingt ans. Avez-vous assisté à des miracles?
Les miracles ont pour caractéristique d’être rarement ce que l’on s’attend qu’ils soient.
En médecine, lorsque l’on parle de miracle, on pense souvent au fait de guérir d’une maladie incurable. C’est vraiment très, très rare. Ce qui se produit beaucoup plus souvent, c’est par exemple de voir des relations difficiles être soignées à l’approche de la mort.
Le miracle, c’est aussi d’observer comment les gens arrivent à gérer leur fin de vie de façon individuelle et cohérente avec leur biographie, jusqu’au bout, en mourant comme ils ont vécu.

Gian Domenico Borasio avait notamment retracé son expérience dans un premier ouvrage, Mourir, ce que l’on sait, ce que l’on peut faire, comment s’y préparer, publié en 2014 aux Presses polytechniques et universitaires romandes.

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