mercredi 12 août 2015

Trouvé dans la République des Livres


[…] Vous, je ne sais pas, mais moi, j’ai un mal fou à me débarrasser des livres. […] Comment mieux faciliter le chemin qu’en les semant à tout va. Or lorsque je les abandonne, sur le siège de l’autobus, contre un strapontin du métro, sur un banc public, sur la banquette d’un bistro, je dis bien chaque fois, quelqu’un me le fait remarquer, m’obligeant à le reprendre si je veux éviter d’entrer dans une conversation foireuse ; et si je me suis déjà sauvé, il en est qui courent pour me rattraper : Monsieur, Monsieur, votre livre ! Et quand il m’arrive, tout en me confondant en remerciements, d’expliquer que j’ai fait exprès, ça vexe […]

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[Extraits par ordre d’entrée en scène, dans les quelques heures qui ont suivi la parution de cet article]

Il m’arrive de prêter des livres de ma bibliothèque à des visiteurs. Si le livre ne reparait pas, c’est qu’il plait et c’est tant mieux ! Souvent, il me manque. Alors, si cela dure, je le rachète. Naturellement, à ce moment précis juste après la livraison, l’ami(e) me le rend. Ainsi, croyant m’être séparé d’un bouquin, je me retrouve avec des jumeaux. Lire est un enfer…

Une bibliothèque ? Qu’est-ce que c’est au fond ? Un lieu de désirs, de quête. Un miroir. Une régression vers une naissance. Du travail, donc de la solitude. Une jouissance. Une rencontre. Un oubli (un livre nouveau demandant d’oublier le temps d’une lecture, le précédent). Une anesthésie… Alors abandonner ses livres ou les donner c’est comme une révolte parfois, une tentative : vivre sans eux, sans certains. Éprouver ce manque, cette absence. Et puis ils reviennent insidieusement dans la mémoire par phrases, par pages entières, par les mots, par les personnages, la voix (si c’était un journal) et ça serre le cœur, un peu.

Une fois par semaine, je pousse la porte d’un immeuble, me plante devant la rangée de boîtes aux lettres et, inspiré par un patronyme, furtivement, je fais glisser un livre dans la boîte; le cœur alors me bat un peu, car désormais tout peut arriver, tout va arriver. N’allez pas sourire de mon geste, non, je l’avoue je suis un pervers, je pose des livres comme on pose des bombes, je veux dévaster des existences. Par exemple, dimanche dernier, j’ai laissé dans la boîte de Monsieur et Madame X J’adore ce qui me brûle de Max Frisch : j’ai imaginé monsieur en lire les premières pages qui racontent l’histoire d’une femme qui abandonne son mari, lasse de sa puérilité, j’imagine ce monsieur bien vite inquiet, se disant : elle veut me dire quelque chose, avec ce livre, elle veut me dire quelque chose bientôt, il entre chez lui et brandit le livre sous le nez de sa femme : Tu ne pouvais pas me parler? Tu avais vraiment besoin de me laisser ce livre dans la boîte ? J’imagine tout ce que ce malentendu peut provoquer, la dispute, l’irréparable, la rupture ! Oui, je laisse des petites bombes dans les boîtes aux lettres : Qui a mis ce livre dans ma boîte, ma femme ? un voisin ? un ennemi ? mon amant ? mon père ? Pourquoi ?

Une fois, j’ai laissé un exemplaire de La vie de Rancé sur un banc de métro. En me retournant, j’ai aperçu deux moines mendiants qui se battaient pour se l’approprier. L’un a fini par pousser l’autre sous une rame. A la trappe ! C’était à la station Filles du calvaire. Depuis, je m’abstiens.



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