dimanche 11 avril 2010

Un avion s'écrase à Smolensk


Une relative présence polonaise dans mon entourage m’a peu à peu sensibilisé a ce qui s’est passé, qui se passe et pourrait se passer dans ce pays, et à ce que ceux qui en ressortissent sentent, pensent et expriment. C’est à ce titre que j’avais consacré – en septembre 2008 puis il y a environ un an – deux articles de ce bloc-notes à la difficile sortie, hors de Pologne, du film qu’Andrzej Wajda a consacré à Katyń – lieu du massacre, il y a 70 ans, de plusieurs milliers d’officiers de l’armée polonaise par le NKVD. Ce qui ne veut pas dire que je suis expert en ce domaine. Ce qui va suivre se nourrit de cette présence et de cette amorce de sensibilité, dispose quelques éléments épars d’une mosaïque, ne prétend pas fournir des explications définitives.

Les médias et la catastrophe de Smolensk
On sait que ce samedi 10 avril, un peu avant 9 heures (notre heure d’été), l’avion transportant le Président polonais et une délégation de haut niveau pour aller se recueillir à Katyń, s’est écrasé à quelques centaines mètres de la piste d’atterrissage de Smolensk et qu’il n’y a aucun survivant parmi la petite centaine de personnes à bord.

L’information fournie par les médias sur la catastrophe et sur les réactions immédiates est abondante, même si elle ne fait souvent que reprendre les mêmes sources. Un tour sur Google actualités, une trentaine d’heures après l’accident, confirme que c’est, de loin, la nouvelle la plus reprise et commentée. On y dénombre plus de 5000 références aux États-Unis et au Royaume-Uni, près de 4000 en Russie, plus de 2000 en Allemagne, dans les 1200 en France et en Suisse. Le thème qui vient généralement en second (Bangkok) y est, à chaque fois, deux fois moins cité. Quelques exceptions : celle, notoire, du champion de golf Tiger Woods (11600) et de la nomination à la Cour suprême (3600) dans l’actualité étasunienne, et du Kirghizstan (à même hauteur que la catastrophe polonaise) dans l’actualité francophone. Le décompte est moins évident pour la presse en polonais car le sujet y est traité sous différents angles et non sous une seule tête de chapitre.

A la télévision polonaise
Pendant de la journée du drame, la chaine de télévision Polonia (tournée vers la communauté polonaise à l’étranger) a consacré l’essentiel de son temps à diffuser des vues tournées sur place, à interroger diverses personnalités ou experts qui, au-delà des mots de circonstance, n’avaient pas grand-chose à ajouter ou ne préféraient pas le faire pour le moment, et à montrer le recueillement et l’émotion des nombreuses personnes qui se sont rassemblées auprès du Palais présidentiel ou dans les églises (la hiérarchie catholique est assez fortement présente au cours de ces émissions – ce qui, en Pologne, va plutôt de soi).

Le lendemain, en revanche, on a pu suivre en direct, pendant des heures, l’accueil et une sobre cérémonie à l’aéroport militaire de Varsovie puis le transport de la dépouille du Président défunt jusqu’au Palais présidentiel. C'est un parcours d'une dizaine de kilomètres dans la capitale. Il était continûment bordé de gens des deux côtés, souvent sur plusieurs rangs, silencieux, portant des drapeaux, jetant des fleurs vers le cortège… Ambiance particulièrement impressionnante et manifestant, à mon sens, outre l’hommage rendu à la personne, l’attachement au pays que celle-ci avait représenté.

Une Pologne "décapitée" ?
Compte tenu des personnalités qui ont disparu, le terme a été employé d’une Pologne décapitée. Cela se comprend, s’agissant d’un Président élu, voici cinq ans, au suffrage direct – ainsi que pour l’institution militaire qui y a perdu six de ses principaux chefs : le Chef d’État-major des Armées, ceux des armées de Terre, de l’Air et de la Marine, des Forces spéciales, et des Forces opérationnelles (par ex. en Afghanistan). Ajoutons que le Président de la Banque de Pologne faisait lui aussi partie de la délégation.

Une "tendance lourde" ?
Si l’on essaie d’en supputer les conséquences, il n’est pas inutile de lire ce que Bernard Guetta vient de livrer, précisément le 10 avril, pour le faire paraître dans le journal suisse Le Temps. Sensibilisé à la politique dès son enfance, une des figures de mai 1968 au lycée Henri IV où il prépare alors son baccalauréat, c’est dans le journalisme qu’il fera finalement carrière. Ses chroniques actuelles donnent une place importante à la menace nucléaire iranienne, en phase avec la position d’Israël sur le sujet. Ceci éclaire ce qui va suivre. Mais il faut tout aussi bien rappeler que, la trentaine approchant, il avait été recruté au Service étranger du quotidien Le Monde : il y a consacré une décennie comme correspondant en Pologne de 1980 à 1982 (à Varsovie puis à Gdansk, au moment des accords), puis de 1983 à 1987 à Washington, et enfin de 1988 à 1990 à Moscou (belle époque, là aussi). C’est dire – ses articles et ouvrages de l’époque en témoignent – qu’il connaît le terrain.

Titre et sous-titre : Billard diplomatique – Parce que l’Amérique voulait contrer l’Iran en se rapprochant de la Russie, Polonais et Russes se sont réconciliés. La boule de billard que suit prioritairement l’auteur, c’est le nucléaire iranien. Celle qui fait la teneur de l’article concerne les relations russo-polonaises. Pour dire vite : Barack Obama se rapproche de la Russie pour contrer les ambitions nucléaires de l’Iran, ne cherche plus à faire entrer l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN, renonce à déployer un bouclier antimissile au centre de l’Europe, signe ces jours derniers un nouveau traité de réduction des armements stratégiques.
Ce que voyant, des pays qui, comme la Pologne, ne se sentaient pas militairement protégés par l’Union européenne et avaient fait reposer leur sécurité sur une alliance avec les États-Unis et un encerclement de la Russie, se sont mis à reconsidérer leur position et ont trouvé intérêt à normaliser leurs relations avec cette dernière… qui a, dans ces conditions, vu des avantages à courtiser la Pologne : Vladimir Poutine en est venu à proposer à son homologue polonais (le Premier ministre Donald Tusk) de commémorer le massacre de Katyń – ce qui s’est fait mercredi dernier. Un geste d’une portée symbolique considérable.
Je remarque que, de plus, le film de Wajda sur Katyń qui avait été diffusé sur la chaine Kultura de la télévsion publique russe avant cette rencontre des deux Premiers ministres, l'est de nouveau aujourd'hui.

L'institution militaire
Quittons la chronique parue dans Le Temps et revenons à la tragédie de samedi, quelques jours plus tard. C’est au tour du Président polonais (Lech Kaczyński) de venir se recueillir sur place. Invitation officielle mais pas encore une rencontre entre Chefs d’État. On a vu au début de ce billet à quel niveau élevé de la hiérarchie militaire il était entouré. L’analyse de Bernard Guetta suggère une autre dimension à ce commentaire – largement repris dans la presse internationale – d’une politologue polonaise : la disparition de ces hauts gradés ne fera qu’accélérer un renouvellement qui était déjà engagé à la tête des armées. Autres temps…

Prochaines élections présidentielles
Un dernier mot, d’ordre plus politique. Le mandat du Président étant de 5 ans de nouvelles élections étaient prévues pour octobre prochain. L’actuel, bien étiqueté conservateur, comptait se représenter. Il est mort. Celui de ses adversaires à gauche était dans le même avion : il est mort lui-aussi. Restait le candidat centriste libéral. Il paraissait déjà être en bonne position. Président de l’Assemblée nationale, il devient en charge à ce titre de l’intérim du Président défunt, et doit avancer la date de ces élections, avant fin juin.
La photo au centre de ce qui illustre cet article représente le Palais présidentiel à Varsovie.
On peut retrouver l'intégralité de l'article de Bernard Guetta avec la référence suivante : http://www.letemps.ch/Page/Uuid/95de88ec-4414-11df-95f4-163a81e40598%7C0

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