lundi 14 décembre 2009

Villes mondiales


Le billet de fin novembre sur la Sibérie en annonçait un autre sur les villes mondiales : le voici – inspiré d’un dossier récent réalisé par le magazine Sciences Humaines.

Dans le premier cas, on avait assisté à l’ébauche d’un jeu pas perdant – gagnant entre deux empires (le Russe et celui du Milieu) autour d’un très grand territoire (la Sibérie) au sous-sol riche mais pas facile à exploiter.

Ce que nous allons maintenant évoquer, c’est ce que les coordinateurs du dossier appellent l’archipel des villes globales pour désigner les capitales économiques de la mondialisation : ils dressent à ce titre une fresque qui va des villes-citadelles aux villes-réseau d’aujourd’hui. Ils y voient aussi les nouveaux pôles de la politique planétaire. Mais (espèce de figure imposée ?) à vouloir couronner le tout par un chapitre culturel, ils paraissent échouer sur un regroupement au goût curieux, qui prête à la capitale française des langueurs de Belle au Bois dormant.

… On n’y trouve pas que Paris : le front ceint de lauriers de matière grise au milieu de ce gloubi-boulga culturel, figure Boston aux côtés de Las Vegas, de la Mecque, etc. Mais – surprise ! – dans le sommaire de la revue, Boston s’appelle Baltimore. S’agissant de rigueur des chiffres, reconnaissons le droit aux sciences humaines d’avoir moins de scrupules que les sciences dures. Vu de l’hexagone et à la différence d’un calcul balistique, une approximation de 10% reste acceptable : encore 1 ou 2%, on aurait pu vitrifier le Pentagone… Et au fond, pourquoi pas un Baltimore culturel ? Son musée ne recèle-t-il pas une superbe collection d’œuvres postimpressionistes ? Son orchestre symphonique n’est-il pas mondialement réputé ?

Revenons à nos moutons : qu’est-ce qui rapproche le devenir de la Sibérie et la constitution d’un archipel de villes en réseau ? J’y vois des questionnements et des tentatives d’explication sur ce qui pourrait éventuellement prendre la relève d’États-nations plus ou moins mal en point. On a pu avancer qu’ils étaient devenus trop grands pour s’occuper des problèmes de tous les jours et trop petits pour se saisir des grandes questions (le chœur des commentateurs qui cherchent à écrire l’épopée de la construction européenne ne nous a pas épargnés à cet égard). On avait aussi imaginé que l’on s’acheminait vers des empires (américain, chinois, russe, voire européen, etc.) gérant leurs mutuelles frictions.

Ce que semble vouloir dire le cas sibérien, c’est qu’on découvre de sacrés gros morceaux en matière de frictions d’empires. Le dossier sur les villes laisse entrevoir que le réseau des métropoles mondiales prend sans état d’âme en charge le pilotage et l’orchestration, tant des petits que des grands problèmes. Des flux de tous ordres circulent entre elles : elles les digèrent et les régurgitent dans ce même réseau, et façonnent ainsi peu à peu la planète – États-nations et empires compris.

Premier angle d’attaque, l’économie. Le souvenir que nous avons des villes-citadelles est celui d’une compétition entre cités, même lorsqu’elles étendaient au loin leurs ramifications commerciales (temps des grandes découvertes, puis celui de la révolution industrielle et de la colonisation du monde, suivi de la montée en puissance, notamment financière, des États-Unis). Mais, d’une part, elles ont progressivement pris leur autonomie par rapport aux États et, d’autre part, des complémentarités se sont fait jour – dès les débuts, par exemple, entre les industrieuses du Nord de l’Europe et les commerciales du Sud.

On assiste depuis quelques décennies à la constitution d’une multiplicité de réseaux inter-cités spécialisés : finance, pétrole, productions industrielles de tout poil, négoces, conseil en management, services aux entreprises, investissement immobilier… Mais, sous la houlette de certaines villes, parfois sur un espace limité, mais visant tout autant une dimension planétaire, ces réseaux spécialisés s’intègrent à leur tour. Bientôt, l’économique et le financier débordent : les flux d’échanges concernent certes les managers – mais tout aussi bien des fonctionnaires, des militants et des responsables d’ONG, des immigrés, etc.

Illustration : êtes-vous allé jeter un coup d’œil à cette carte du monde, véritable fourmilière où chaque avion est représenté par un point lumineux ? En guère plus d’une minute, vous avez un raccourci du trafic aérien sur 24 heures. Le jour se lève sur l’Asie et celle-ci entre en effervescence… Plus tard sur l’Europe : idem, tandis qu’une horde d’avions s’élancent à travers l’Atlantique. Et, alors qu’ils atterrissent et que le soleil commence à y poindre, la contagion – et avec quelle intensité – gagne à son tour l’Amérique.
(http://www.youtube.com/watch?v=o4g930pm8Ms&feature=related)

Ce premier volet donne lieu à quelques monographies : Londres, Shanghai, Sydney, Mumbay (extension de Bombay), Johannesburg, Mexico, Houston. Ceux qui aimeraient aller voir plus dans le détail peuvent éplucher des classements de villes mondiales.

En voici un de source universitaire (Globalisation et villes mondiales – Université de Loughborough, en Grande-Bretagne) en fonction de leur connectivité, mesurée par le nombre de firmes de services et par la taille de leurs bureaux dans une ville considérée. Plus de 300 villes ont ainsi été analysées. Pour 2008, les 10 premières sont New York (indice 100), Londres (99), Hong Kong (81), Paris (77), Singapour (73), Tokyo (72), Sydney (72), Shanghai (70), Pékin (69) et Milan.

Voir (
http://www.lboro.ac.uk/gawc/world2008t.html).
Seule la page donnant la liste pour 2008 est donnée ici. Mais en navigant un peu, on trouve facilement des cartes associées, ainsi que les résultats pour les années 2000 et 2004. Il est particulièrement intéressant de voir la rapidité de l’évolution sur une durée aussi limitée, la plupart de ces villes ayant un passé qui remonte à longtemps. En 2000, par exemple, Shanghai et Pékin occupaient les 30ème et 34ème places. Parmi leurs poursuivantes, a contrario, Los Angeles qui était 9ème en 2000, est tombée à la 41ème place.

Autre source : MasterCard. Un peu plus de 70 agglomérations analysées et sept domaines envisagés – ce qui veut dire autant de classements. Ce sont : le contexte juridique et politique ; la stabilité économique ; l’environnement favorable aux affaires ; les flux financiers ; le contexte géographique et des moyens de communications ; l’environnement favorable au savoir et aux échanges d’information ; la qualité de vie.

Le graphique qui se trouve au début de ce billet cherche à situer les huit premières villes (dont Paris), en sélectionnant deux des domaines : les flux financiers, et l’environnement favorable au savoir et aux échanges d’informations.

Après le volet économique, le volet politique en partant du constat que les centres politiques actuels sont des héritiers d’États-nations dont le pouvoir s’exerçait de façon territoriale, y compris à l’époque jusque dans leurs colonies. La Guerre froide qui s’en est suivie a été décrite comme un face-à-face entre Washington et Moscou. Des discours sur un monde multipolaire ont pris la relève : mais ils ont gardé cette saveur d’un affrontement entre des puissances régionales.

Mais si, capitales ou non, les villes où quelque chose se passe gardent un ascendant sur leur périphérie locale, le jeu semble davantage se jouer au sein d’un réseau planétaire – avec ses complémentarités et ses spécialisations (Kyoto pour le climat, Oslo pour la paix, etc.). Y émergent des pratiques à visée mondiale (s’agissant du droit ou de régulations, par exemple), tandis que sont progressivement évacués les a priori nationaux de l’action politique.

Il n’empêche – comme, ici aussi, l'esquisse qui vient d'être fournie sur leur devenir politique est suivi de quelques monographies, le sous-titrage proposé pour chaque ville montre que les auteurs du dossier les voient encore au milieu du gué : Washington (capitale du monde), Bruxelles (capitale écartelée), Pékin (ville impériale), Moscou (après l’empire)… Suivent Tokyo, Brasilia, New Delhi, Téhéran.

Le sujet n’est pas facile. Mon brin de réflexion personnelle prend son origine dans des remarques entendues à l’occasion des élections qui ont vu accéder le Président Obama à la Maison Blanche. Dans certains pays, il y avait des gens qui estimaient que ces élections auraient plus de répercussions sur leur propre devenir et sur celui de leur pays, que celles pour lesquelles ils avaient personnellement déposé un bulletin dans l’urne et élu leur propre président. Joli point d’interrogation en matière de processus démocratique – jusqu'à présent basé sur une représentation locale et territoriale. Quid si le transfert de la réalité des pouvoirs glisse en direction d’un réseau de villes mondiales ? Qui, si ce n’est sur une base géographique, en élit les responsables politiques ? Quelle prise ont ces derniers sur ce qui dépasse le pur fonctionnement local d’une entité participant à un concert mondial ? Et même dans le meilleur des mondes, peut-on enfin passer d’une démocratie façonnée par la dimension territoriale, à celle que justifieraient des pratiques en réseau ?

Pour faire bonne mesure, un troisième volet a été raccroché aux deux premiers : le volet culturel. A mon avis, un peu à la sauvette puisqu’on ne l’annonce pas dans l’article de présentation du dossier – je l’ai déjà laissé sentir plus haut. De plus, à la différence de ce que nous avons déjà vu, une simple page titre mais aucune introduction à cette partie pour préciser ce que l’on entend par métropole de la culture, quelles évolutions les travaillent, pourquoi les qualifier à ce titre de mondiales. Disparates, les monographies elles-mêmes ont souvent du mal à prendre un quelconque envol au-delà du caractère local ou du déjà-dit depuis longtemps (Paris, Jérusalem, la Mecque, Boston, Bangalore, Berlin, Los Angeles, Hong Kong, Dubaï, Las Vegas).
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Merci à Till et à Ivona pour avoir rassemblé et mis en forme les informations qui m'ont servi ici.

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